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Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur à Elisabeth Maurin

Chère Elisabeth Maurin,

Aujourd’hui est, presque jour pour jour, la célébration d’un anniversaire.

C’est en effet le 23 décembre 1988 que, lors du tournage de Casse-
Noisette qui était enregistré pour la télévision française, vous avez été
nommée danseuse-étoile par Rudolf Noureev. Force des symboles, il
interprétait lui-même le rôle de Drosselmeier, parrain de l’héroïne. Il fut
le vôtre.

Casse-Noisette est l’un de vos ballets-fétiches. Vous avez dansé le rôle
de Clara dans les visions très différentes de John Neumeier ou de
Noureev, après avoir été, à vos tout débuts, l’un des flocons de neige
du ballet. Comme toute grande interprète qui aborde un rôle
emblématique du répertoire, vous l’avez à votre tour marqué de votre
aura, de votre talent dramatique et de votre technique éblouissante.

Pour être alors la petite fille émerveillée au pied du sapin de ce conte
de Noël, il vous fallait être déjà une grande dame.

Vous êtes en effet, chère Elisabeth Maurin, une grande dame de la
danse, par votre virtuosité, votre perfectionnisme, votre travail acharné,
comme par votre capacité d’analyse et d’intelligence de vos rôles, votre
souci de mettre en avant le « jeu » dramatique. Vous êtes de celles et
de ceux qui, ayant une réflexion sur leur art, n’ont de cesse de le fouiller
et de le pousser toujours plus loin, de la façon parfois la plus
surprenante. Vous savez, à volonté, devenir drôle, tragique ou grave,
mais demeurer aussi légère, ingénue, romantique.

Votre première rencontre avec la danse fut pourtant fortuite.

Vos parents ont voulu vous inscrire, à l’âge de 4 ans, dans un cours de
judo, comme vos frères ! Un hasard heureux a voulu qu’ils trouvent
porte close ! A l’étage du dessous, se trouvait le cours de danse
classique d’une ancienne étoile des Ballets du Marquis de Cuevas,
Janine Joubert, qui fut votre premier professeur, et avec qui vous êtes
toujours restée en contact.

Elle décèle très vite vos dons, et vous incite à tenter l’école de danse de
l’Opéra national de Paris, où vous êtes immédiatement admise, à l’âge
de 9 ans. Claude Bessy, qui en assurait depuis peu la direction, est, dès
cette époque, frappée par vos dispositions pour le jeu et vos talents de
comédienne.

A seize ans, vous êtes engagée dans le corps de ballet, où Rosella
Hightower vous confie vos premiers rôles de soliste : Cupidon dans le
Don Quichotte de Noureev en 1981, l’Oiseau bleu dans La Belle au bois
dormant en 1982.

En 1983, vous êtes nommée sujet et interprétez Coppélia dans la
version de Pierre Lacotte, l’un de ces rôles de poupée, de princesse ou
de fée pour lesquels vous semblez faite, même si votre étonnante
puissante dramatique et votre capacité d’interprétation vous entraînent
par la suite très vite vers bien d’autres styles.

Cette même année vous êtes repérée comme l’une des jeunes
danseuses les plus prometteuses du Ballet de l’Opéra de Paris et vous
recevez le Prix Carpeaux, qui venait d’être créé, ce prix décerné par les
amis les plus anciens et les plus fidèles du ballet de l’Opéra, dont la
vocation est d’encourager les jeunes espoirs de la première compagnie
de danse française.

D’autres Prix viendront jalonner votre carrière : le Premier Prix du
Concours International d’Osaka, que vous remporterez avec Manuel
Legris en 1984 ; le Prix du Public, décerné par l’AROP, Association pour
le Rayonnement de l’Opéra de Paris, qui vous sera attribué en 1989.
C’est en 1985 que vous êtes promue « Première danseuse ».

Je dois renoncer au plaisir d’évoquer ici chacun des rôles que vous avez
marqués de votre personnalité, auprès de chorégraphes aussi divers et
aussi prestigieux que Serge Lifar, Jérôme Robbins, Maurice Béjart, mais
aussi Joseph Lazzini, Harald Lander, Roland Petit, Paul Taylor et bien
d’autres. Vous avez bien sûr interprété, avec toute la force de votre
personnalité, des chorégraphies de George Balanchine, brillant
témoignage de la puissance de l’interprète face à la vision du créateur,
que vous rejoignez à travers l’extrême sensibilité musicale qui constitue
une large part de votre signature artistique.

Vous défendez et illustrez le répertoire chorégraphique, avec, au sens le
plus fort de ces termes, âme et conscience, et je donne ici à ces mots
toute la valeur et toute la force que leur confèrent la grâce et le talent
d’une artiste aussi lumineuse et aussi inspirée que vous l’êtes.

Je pense que l’un des souvenirs les plus étonnants de votre carrière
reste ce jour de 1983, un 1er mai je crois, où Rudolf Noureev vous a
demandé d’être sa partenaire à l’Opéra de Vienne dans Giselle.

Vous n’aviez que deux jours pour apprendre le rôle, ce que vous avez
fait sous la direction d’Yvette Chauviré et vous êtes montée sur scène
sans répétition, votre plus belle récompense étant le regard empli de
bonheur de Noureev face à votre performance.

Vous parlez encore aujourd’hui de Giselle comme du rôle des rôles et
tenez, sur votre appropriation de cette figure mythique du répertoire, des
propos qui éclairent la relation complexe que l’interprète tisse avec son
personnage, et sur la distance à garder avec la tentation d’une
excessive identification.

Cette force d’interprétation, je tiens à souligner que Brigitte Lefèvre n’a
eu aucun mal à vous convaincre de la mettre au service des créations
contemporaines qui contribuent aujourd’hui au rayonnement du Ballet de
l’Opéra National de Paris, qu’elles soient signées Lar Lubovitch, Angelin
Preljocaj, Daniel Larrieu, Odile Duboc, Michel Kelemenis, ou encore
Laura Scozzi dans Les Sept Péchés capitaux de laquelle vous avez, en
2001, donné toute la mesure , – toute la démesure, devrais-je dire, chère
Elisabeth Maurin ! – de votre fantaisie et de votre créativité, en poussant
à l’extrême l’infinie palette de vos émotions !

Bien éloignée de la petite Clara de vos débuts, Juliette, du Roméo et
Juliette de Noureev, enfant elle aussi, mais projetée dans la tragédie,
demeure l’un de vos personnages préférés. C’est que vous y trouvez ce
que vous demandez avant tout à un grand rôle, l’expression de
l’humanité la plus pure, et que vous y réalisez la parfaite synthèse de la
danse, de la dramaturgie, de la virtuosité et de l’émotion.

C’est d’ailleurs Juliette que vous avez choisie, en juin dernier, lors de
cette si mémorable et émouvante soirée, où 2700 spectateurs vous ont
manifesté leur fidélité et la profondeur de leur attachement, durant une
demi-heure d’acclamations debout.

Mais vous ne quittez pas le Ballet, puisque, grâce à vous, Juliette,
Giselle, Odette, Odile, Clara, Nikya, et tant d’autres héroïnes fameuses
de l’histoire de la danse, comme celles fraîchement issues de
l’imaginaire des créateurs d’aujourd’hui, seront transmises avec
générosité, intelligence et sensibilité, à de nouvelles générations de
jeunes danseuses. En effet, en septembre dernier, vous avez pris vos
fonctions à l’Ecole de Danse de Nanterre, où vous vous épanouissez
désormais comme pédagogue exceptionnelle.

Elisabeth Maurin, au nom du Président de la République, et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier dans
l’Ordre national de la Légion d’Honneur.

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