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Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Philippe Petit

Cher Philippe Petit,

Ce mot magnifique de « funambule » désigne d’abord votre activité et
prend grâce à vous toute sa force, car c’est bien sur le fil de votre vie et
de vos rêves que vous montez les spectacles les plus fous, c’est bien
de ce fil tendu à des hauteurs vertigineuses entre le ciel et le vide que
vous nous adressez d'éloquents messages de courage et de lucidité.

Vous êtes en effet ce funambule qui, depuis le début des années 70,
multiplie les défis, repousse les limites du risque et du danger.
En 1971, vous tendez votre fil entre les deux tours de Notre-Dame pour
danser et jongler dans les airs, après avoir transporté de nuit et en
secret, au terme de trois années de minutieuse préparation, comme
dans les meilleurs films policiers, câbles, cordes, filins, et tout le
matériel nécessaire !

C’est là, en hommage à la cathédrale que vous admirez, la première de
vos « installations clandestines » à si grande hauteur, celle qui lancera
votre réputation, même si les chemins de la célébrité passent alors par
une arrestation pour perturbation de l’ordre public.

En Australie, à Sydney, vous jetez votre fil entre les piliers du Sydney
Harbour Bridge, le plus grand pont d’acier du monde. A New-York, et
cette évocation d’un exploit fameux, qui vous a demandé six ans de
préparation et une tonne de matériel, nous est aujourd’hui
particulièrement sensible, entre les deux tours du World Trade Center.

Si je n’ai pas résisté à la tentation d’évoquer en premier lieu vos
opérations « clandestines » et leur panache, – il vous arrive d’ailleurs de
les comparer vous-même à « des attaques de banque » ! ,- c’est
qu’elles donnent la mesure du pouvoir de la volonté lorsqu’il s’agit de
transformer son rêve en réalité.

Pour autant, cher Philippe Petit, vous n’êtes pas un aventurier de
l’espace et de l’équilibre, mais bien au contraire un artiste exigeant,
pleinement reconnu dans le monde entier pour l’audace et le brio de
ses exploits.

Vous avez aussi apporté votre concours à de grandes manifestations
emblématiques.

Je reste particulièrement impressionné par votre participation, en 1989,
à la célébration du Bicentenaire de le Révolution Française : vous avez
alors effectué une grande traversée sur fil, du Trocadéro au deuxième
étage de la Tour Eiffel, devant deux cent cinquante mille spectateurs.

Comment oublier également votre « ascension » sur fil depuis l’Eglise
Saint-Merri jusqu’au Centre Pompidou ? Vos exploits au stade
monumental de la Nouvelle-Orléans devant 80 000 spectateurs ou aux
chutes de Paterson dans le New Jersey ? Votre participation
spectaculaire à la réouverture de la Statue de la Liberté ? Comment ne
pas rappeler votre émouvante traversée sur fil entre les quartiers juifs et
les quartiers arabes de Jérusalem pour l’ouverture du Festival d’Israël ?

Pour tout cela, pour forger une telle réussite artistique et personnelle, il
n’y a pas d’école et pas de maître. Vous avez saisi vous-même, dès
l’enfance, le fil rouge de votre destin et de votre mode d’expression,
simplement encouragé par l’exigence de perfection léguée par votre
père.

A l’âge de 6 ans, vous appreniez vos premiers tours de magie. A 12 ans
vous saviez jongler et marcher sur un fil. A 16 ans, le monde était votre
univers et la rue votre premier théâtre. Vous êtes reconnu, je l’ai dit,
dans le monde entier. Chemin faisant, vous avez appris l’escalade,
l’escrime, l’équitation, la menuiserie et le dessin, ainsi que l’anglais, le
russe, l’espagnol et l’allemand…. Vous vous êtes passionné pour
l’architecture, et n’avez jamais perdu le sens d’un humour aiguisé…

Vous êtes aussi, – ou peut-être d’abord, – homme de théâtre et de
cinéma et écrivain à part entière.
Des nombreux ouvrages que vous avez écrits, le « Traité du
funambulisme » peut apparaître pour le lecteur plus sédentaire que vous
ne l’êtes comme un précieux traité de vie.

Paul Auster, qui en a signé la préface, écrit – je le cite – que « le fil est
un art de la solitude, une façon d’affronter sa propre existence dans les
recoins les plus sombres, les plus secrets de soi », et il salue avec
respect la quête, la recherche de perfection, que cette discipline exige,
tandis que Wernez Herzog voit dans cet ouvrage « un livre de conseils
pour ceux qui oseront un jour l’impossible : marcher droit à travers ciel et
atteindre les étoiles… un livre qui montre l’art de remplir et illuminer le
Vide, vide entre deux tours, deux bords d’un ravin, deux planètes, ou
l’espace entre le coeur et l’esprit ». Je joins, cher Philippe Petit,
l’expression de mon admiration à ces prestigieux hommages.

Dans ce livre, où il est question de vent et de balancier, de courage,
mais aussi de la peur, de la chute possible et de sa terrible issue, on
apprend que le rêve est ascèse et effort.

« Je n’ai jamais peur sur le fil, je suis trop occupé », écrivez-vous, –
superbe leçon d’humilité.

Vous dites aussi, évoquant le funambule qui aborde sa traversée audessus
du vide : « La faute est de partir sans espoir ». C’est un beau message de confiance dans le pouvoir de l’homme sur lui-même et dans
ses capacités à repousser ses limites.

Je forme donc aujourd’hui des voeux chaleureux pour que tous vos
projets actuels et à venir soient pleinement couronnés de succès. Pour
que les ateliers et conférences que vous animez dans les institutions du
monde entier fassent de nombreux émules sur les chemins de la
créativité. Pour que la grange que vous construisez de vos mains dans
les environs de New-York selon les techniques du XVIIIe siècle
devienne rapidement ce petit théâtre que vous envisagez. Nous
attendons aussi avec impatience la sortie de votre prochain livre chez
« Actes Sud », intitulé non sans malice et avec poésie « « L’art du
pickpocket ».

Je souhaite enfin, puisque nous sommes à la saison des voeux, que
vous continuiez à alimenter ce lien, auquel je suis tellement attaché,
entre la communauté artistique de notre pays et celle des Etats-Unis,
puisque vous avez aussi lancé votre fil par-dessus l’Atlantique, et que
vous alternez séjours en France et vie à New-York, où vous êtes depuis
25 ans artiste en résidence à la Cathédrale Saint-John-the-Divine, la
plus grande cathédrale gothique du monde, que vous avez maintes fois
animée de vos exploits.

Cher Philippe Petit, au nom de la République, nous vous faisons
chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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