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Inauguration de la statue d'Alexandre Dumas à Villers-Côterets

Posted By admin2011 On 11 décembre 2005 @ 23:10 In Discours 2005 | No Comments

Monsieur le Ministre, Monsieur le Sénateur, cher Jacques Pelletier,

Monsieur le Ministre, cher Alain Decaux,

Monsieur le Maire,

Madame la Conseillère régionale,

Mesdames, Messieurs les élus,

Madame le Préfet,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux et très fier de partager avec vous ce moment solennel qui est aussi un
moment d’émotion exceptionnel. Un moment fort. Un moment symbolique. Un moment
d’humanité.

Une nouvelle fois aujourd’hui, Villers-Cotterêts a rendez-vous avec l’histoire de la France.

C’est ici, en son château fraîchement construit, que François Ier signa le fameux édit qui
substitua le français au latin dans les actes de justice. Il ouvrait dans le même temps la voie
à la Renaissance française, qui vit progresser ensemble l’humanisme, la littérature et la
langue dont Du Bellay pouvait, dix ans plus tard, faire la Défense et Illustration. Qui peut
aujourd’hui mieux les incarner qu’Alexandre Dumas ?

C’est ici, « ce siècle avait deux ans », que naquit celui dont j’ai voulu honorer aujourd’hui
avec vous la mémoire.

Laissons-lui la parole : « je suis né à Villers-Cotterêts, petite ville du département de l’Aisne,
située sur la route de Paris à Laon, à deux cents pas de la rue de la Noue, où mourut
Desmoutiers, à deux lieues de la Ferté-Milon, où naquit Racine, à sept lieues de Château-
Thierry, où naquit La Fontaine. Je suis né le 24 juillet 1802, rue de Lormet, dans une maison
appartenant à mon ami Cartier, qui voudra bien me la vendre un jour, pour que j’aille mourir
dans la chambre où je suis né, et que je rentre dans la nuit de l’avenir, au même endroit d’où
je suis sorti de la nuit du passé ».

Ce passage de ses Mémoires dit assez l’attachement qu’il vouait à sa terre natale, comme
votre engagement à faire vivre ici son souvenir.

Aussi notre rendez-vous d’aujourd’hui est-il d’abord celui de la parole tenue et de
l’engagement respecté.

Il y a trois ans, presque jour pour jour, la République lui rendît l’hommage le plus solennel
qu’elle réserve à ses plus grandes gloires – « Au fronton du Panthéon, la reconnaissance de
la patrie s’inscrit dans la pierre » disiez-vous ce soir là, cher Alain Decaux, devant les foules
massées de la rue Soufflot jusqu’au Luxembourg. Et vous, les élus et les habitants de
Villers-Cotterêts, étiez au premier rang !

Après bien des discussions, vous aviez consenti, Monsieur le Maire, à ce que la dépouille de
l’enfant du pays rejoigne son ami Victor Hugo. Ainsi les deux écrivains français – et sans
doute les deux écrivains tout court – les plus connus et les plus lus dans le monde reposent
désormais côte à côte.

Je vois dans cette décision difficile un ultime hommage des habitants de Villers-Cotterêts à
leur illustre concitoyen, et un message du souvenir adressé à la Nation toute entière.

Ce souvenir que nous avons en partage vous revient aujourd’hui, comme l’Etat s’y était
engagé il y a trois ans, sous la forme de cette statue.

Cette sculpture de bronze avait été érigée à l’entrée de votre ville, grâce à la détermination
de vos prédécesseurs, qui, dès 1877, avaient lancé une souscription pour sa réalisation et
choisi la proposition de l’un des meilleurs statuaires de l’époque, Albert-Ernest Carrier-
Belleuse. Ce sculpteur, l’un des proches de Dumas, était réputé pour la vigueur de ses
effigies. Cette célébrité explique qu’il ait été l’un des maîtres de Rodin, et qu’aujourd’hui
encore, ces oeuvres aient les honneurs du musée d’Orsay. Placée sur un socle monumental,
haute de trois mètres, la statue de Dumas, dès son inauguration il y a cent vingt ans, fut le
symbole de votre patrimoine et de votre destin communs.

Lorsque la sculpture disparut – comme beaucoup d’autres dans la France martyrisée et
occupée de 1942, le vide fut grand et Villers-Cotterêts se sentit veuve d’une image décisive.

Pour marquer sa reconnaissance, Monsieur le Maire, l’Etat a donc choisi de restituer à vos
concitoyens cette statue.

Je tiens d’abord à féliciter tous les acteurs de cette prouesse technique et artistique, qui ont
su concilier la tradition d’excellence des savoir-faire des métiers d’art les plus traditionnels et
la modernité des techniques les plus innovantes. Je pense en particulier au procédé de
numérisation qui a permis d’obtenir un premier modèle pour rétablir les volumes originaux.

Au sein de la grande famille de tous ceux qui oeuvrent depuis tant d’années au maintien et à
la transmission du patrimoine français, les sculpteurs et les praticiens de l’art du métal, ont
ensuite pu déployer leurs talents et leur connaissance de l’art du modelage, de la taille, du
grand rythme de l’éclat du bronze. Je tiens à saluer la performance de l’atelier de Monsieur
Jean-Loup Bouvier, qui a préparé une effigie de plus de trois mètres toute en terre d’argile.

Mais aussi celle des compagnons de la fonderie de Coubertin, qui ont, en quelques minutes,
accompli l’exploit de couler en un seul jet près de deux mille kilos de lingots de bronze en
fusion !

C’est un exploit emblématique des meilleurs acquis de la politique du patrimoine. C’est parce
qu’il est pleinement conscient des enjeux de cette politique de mise en valeur et de maintien
des compétences professionnelles du patrimoine que le gouvernement a décidé, face aux
tensions qui ont marqué la gestion des crédits en 2004 comme en 2005, d’affecter 100
millions d’euros issus des recettes de privatisation à notre patrimoine.

C’est une décision
éminemment symbolique : le patrimoine de l’Et at est le patrimoine de tous. L’effet de cette
dotation en capital ne sera pas limitée au financement de grandes opérations nationales. Car
elle permettra aussi de dégager des moyens supplémentaires pour les opérations ordinaires
et décentralisées.

Les nombreux habitants de Villers-Cotterêts qui ont assisté au coulage de la statue ont
partagé une émotion intense. Je pense particulièrement à ceux parmi eux, parmi vous, qui
se souviennent encore de l’original de Carrier-Belleuse, ayant vécu son enlèvement comme
une véritable dépossession.

L’oeuvre que nous installons aujourd’hui marque le retour d’Alexandre Dumas dans sa ville
natale, au sein d’un patrimoine qui fait partie de votre identité et dont vous êtes légitimement
fiers.

Mais cette effigie, pour nous tous, c’est d’abord celle du plaisir immense et jubilatoire de la
lecture. Nous avons tous, comme les générations qui nous ont précédés, frémi, vibré,
souffert, ri et pleuré au rythme haletant de la trilogie des Mousquetaires (Les Trois
Mousquetaires, Vingt ans après, Le Vicomte de Bragelonne), de celle des Valois (La Reine
Margot, La Dame de Monsoreau, Les Quarante-Cinq) , ou de la tétralogie des Mémoires
d’un médecin (Joseph Balsamo, Le Collier de la Reine, Ange Pitou, La Comtesse de
Chagny).

Sans doute Proust a-t-il lu Dumas, en tout cas cette description du plaisir de la lecture qui
remonte à l’enfance et laisse en chacun de nous une marque indélébile, évoque-t-elle la
fureur de lire et de vivre que Dumas continue de communiquer à chacun de ses lecteurs : « il
n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux
que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passé avec un livre préféré
(…) Qui ne se souvient comme moi de ces lectures faites au temps des vacances, qu’on
allait cacher successivement dans toutes celles des heures du jour qui étaient assez
paisibles et assez inviolables pour leur donner asile ». Sûrement a-t-il éveillé en chacun de
ses centaines de millions de lecteurs à travers le monde cette passion de la lecture qui ne
nous fait pas seulement dévorer ses livres – Hugo écrivit à son fils : « il crée la soif de lire » –
mais surtout profondément ressentir le courage et le panache de D’Artagnan, le combat
d’Edmond Dantès contre l’humiliation et la jalousie, et la lutte de Joseph Balsamo pour abolir
la royauté dans tous les pays et, pour commencer, en France, car « la France est à l’avantgarde
des nations ».

Alexandre Dumas a créé les héros populaires les plus grands et les plus universels, non
seulement de la littérature, mais aussi de l’histoire de la France. Michelet lui dira un jour : «
vous avez plus appris d’Histoire au peuple que tous les historiens réunis ». Si Balzac a écrit
La Comédie humaine, il a voulu, disait-il lui-même, écrire Le Drame de la France. Car il est
de ces rares écrivains qui ont su créer plus que des personnages, de véritables mythes.

Il n’a pas seulement inventé le roman historique en France. Il n’a pas seulement inventé le
drame romantique, car la bataille d’Hernani n’eût pas eu lieu si, un an auparavant, Henri III et
sa cour n’avait pas été joué à la Comédie-française. Et si son théâtre est aujourd’hui
méconnu, Gustave Lanson, le fondateur de l’histoire littéraire française, évoque à son propos
Byron et Shakespeare. Et nous pouvons associer à son souvenir aujourd’hui celui de son
fils, auteur de La Dame aux camélias, qui fut l’un des plus grands auteurs de théâtre de son
temps.

Il était aussi, plus secrètement, poète :

« Je suis ce voyageur criant à vous dans l’ombre,
Je suis parti d’en bas sans savoir mon chemin,
Le chemin où je marche est étroit, la nuit sombre,
Eclairez-moi, mon père, et donnez-moi la main. »

Cette force de la nature incarne la puissance créatrice de la littérature dans toutes ses
dimensions. Mais surtout, sans doute, ce qui explique que sa générosité sans limites et son
amour de la vie, qui surmonte toutes les difficultés, demeurent si vivaces aujourd’hui, c’est
qu’il demeure, génération après génération, dans son oeuvre comme dans sa vie, l’une des
plus grandes voix de la France, lorsqu’elle est soeur de la Justice et de la Liberté.

Songez à ce qu’il a pu accomplir, lui, le petit-fils d’une esclave, alors que l’esclavage n’était
pas encore aboli !

Tel est aussi le sens particulier que je voudrais donner à la commémoration d’aujourd’hui,
devant sa statue qui retrouve le lieu de sa naissance, en associant à sa mémoire celle de
l’ombre immense de son père, le général Dumas.

Oui, redonnons vie aujourd’hui à celui qui connut la plus grande gloire mais disparut dans la
disgrâce et l’indifférence, au pionnier des valeurs que son fils, qui avait quatre ans à sa mort,
nous a transmises, et léguées, jusqu'à aujourd’hui !

Nous célébrerons le bicentenaire de sa mort l’an prochain, en Savoie, où il démontra avec
éclat que son courage et son intelligence pouvaient à la fois sauver des vies humaines et la
République.

C’est lui, qui n’avait qu’un prénom, Thomas-Alexandre, né esclave dans la partie française
de l’île de Saint-Domingue, qui prit le nom de famille qu’il n’avait pas le droit de porter, ce
nom de Dumas, si célèbre aujourd’hui, lorsqu’arrivé en France, pour ainsi dire « sanspapiers
», il s’engagea, comme simple cavalier, dans le régiment des dragons de la Reine.

L’on sait aujourd’hui qu’il devint général de la Révolution et son nom figure sur l’arc de
triomphe de l’Etoile. Mais sait-on assez qu’il fut un héros de la République ? Qu’il protesta
contre la Terreur ? Qu’il refusa de se battre contre Toussaint Louverture, parce que sa cause
était juste et qu’il ne voulait pas insulter les idéaux de la République, qui, comme l’écrivit plus
tard, Victor Schoelcher qui repose aujourd’hui aux côtés de son fils, « n’exclut personne de
son éternelle devise : Liberté, Egalité, Fraternité » ?

Oui, comme l’a déclaré vendredi le Président de la République : « cette histoire, c’est notre
patrimoine, c’est notre identité, c’est notre avenir ». Dans ce lieu de mémoire, devant ce
monument, en cet instant de recueillement, ayons la passion de l’histoire, à laquelle nous
invitent Alexandre Dumas, son père et son fils, transmettons-la, partageons-la ! Ayons la
passion de la Vérité et de la Justice ! Il n’est pas d’avenir sans repère, sans fidélité aux
leçons de l’histoire. Sereinement, fermement, lucidement, consciemment, faisons en la clé
de notre cohésion nationale et de notre détermination à agir, tous ensemble, dans le présent
et pour l’avenir, au service des talents et des idéaux dont cette statue est le symbole !

Je vous remercie.


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