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Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’Honneur à Montserrat Caballé, à Cannes

Posted By admin2011 On 26 janvier 2005 @ 21:41 In Discours 2005 | No Comments

Madame, Chère Montserrat Caballé,

Comment mieux couronner cette soirée, également diffusée sur
les ondes et sur les écrans, dédiée à l’enchantement de la
musique classique et de l’art lyrique, qu’en vous accueillant ici, à
minuit, dans le foyer de ce Palais des festivals où rayonnent tant
d’étoiles ? Ce soir, c’est la lumière exceptionnelle de votre
incomparable talent qui nous éclaire au coeur de la nuit.

Pouvoir vous rencontrer ici est en soi un événement majeur.

Avant toute autre chose, je tiens à vous remercier pour votre
présence. Après quelque 4000 apparitions sur les plus grandes
scènes lyriques mondiales, avec un répertoire de plus de 150
rôles et 800 mélodies, vous êtes consacrée au sommet de votre
art. C’est d’abord pour cela, comme l’un de vos admirateurs les
plus fervents, que j’ai voulu vous distinguer ce soir.

Très tôt, alors que vous deviez, pour vivre, exercer ce que l’on
appelle aujourd’hui des « petits boulots », vos dons et votre
talent ont été remarqués, dans votre ville natale de Barcelone,
haut lieu de la culture et de l’art lyrique.

Vous avez pris vos premières leçons au Conservatoire du Liceo,
en cette terre de Catalogne où l’on aime tant le chant depuis des
temps immémoriaux. Après avoir travaillé avec Eugénie Kemini
et Conchita Badia, vous obtenez votre diplôme en 1953, puis,
vous vous perfectionnez à Milan, avec Napoleone Novazzi. Vous
faites vos débuts sur la scène de l’opéra de Bâle. Vous êtes
ensuite engagée à Brême, puis à l’opéra de Vienne dans
Salomé, ce rôle de princesse innocente et terrible, puis dans
Dona Elvira.

En 1960, vous vous épanouissez, comme l’une des Filles-fleurs
de Parsifal à la Scala.

Suivent une tournée au Mexique en 1962, où vous êtes Manon
« à la voix qui caresse » (André Tubeuf). Après avoir connu de
grands succès à Barcelone, un jour de 1965, vous avez dû
remplacer Marilyn Horne, au Carnegie Hall de New York, dans le
rôle titre de Lucrèce Borgia de Donizetti en version concert.

Qui pouvait imaginer le triomphe qui vous a été réservé durant
plus de vingt-cinq minutes, devant un public que vous aviez
littéralement tenu en haleine, en utilisant toutes les possibilités
de votre technique vocale et votre si vive palette de coloris
sonores ? Au sein de ce public, les directeurs des plus grandes
maisons d’opéras comprirent qu’ils vivaient un moment rare que, pour notre plus grand plaisir, ils eurent immédiatement l’envie de
faire partager aux spectateurs du monde entier.

Votre carrière européenne prend alors un nouvel élan pour
embrasser le monde. La même année, vous chantez la Comtesse
des Noces de Figaro, la Maréchale à Glyndebourne, et Marguerite
du chef d’oeuvre de Gounod, au Met, où vous reviendrez si souvent,
pour La Traviata, Le Trouvère, Otello, Turandot (dans le rôle de Liù),
Un Bal masqué, Ariane à Naxos.

Vous enroulez et vous imbriquez la valse des succès dans une
spirale infinie, toujours orientée vers le haut.

Après avoir été invitée aux Arènes de Vérone, pour des
représentations de Don Carlos, et avant de débuter à Covent
Garden dans La Traviata, vous incarnez La Norma à Barcelone, ce
rôle, a marqué toute votre carrière et vous le chantez ensuite à
l’Opéra de Paris, à la Scala, puis à Orange, où vous remportez,
dans ce rôle mythique, un triomphe sans précédent.

Vous avez l’art d’élever sans fin les longues mélodies de la grande
prêtresse de Bellini pour parvenir à un véritable éblouissement vocal
d’une beauté inouïe. Dès lors, à Buenos Aires, Rio de Janeiro, Paris,
Londres, Lisbonne, Vienne, Mexico, Naples ou Barcelone, vous
triomphez dans Rossini, Bellini et Donizetti. Votre voix traduit avec
une justesse expressive inégalée les émotions, les passions, les
situations, voulues par ces maîtres d’un nouvel art du chant.

Puis, vous abordez le rôle titre de Turandot à San Francisco,
L’Africaine à Barcelone, Adrienne Lecouvreur au Met. Dans cette
maison de légende, créée de l’autre côté de l’Atlantique pour attirer
les plus grands talents de l’Europe, vous vous imposez, dans le rôle
de Floria Tosca, cette grande chanteuse emblématique de l’opéra
de tous les temps. Dans ce rôle, vous allez ensuite enchanter le
monde entier. En 1989, vous abordez le rôle d’Isolde à Barcelone,
où vous révélez « les mille combinaisons du son » admirées par
Baudelaire.

Vous élargissez encore et toujours l’immense spectre de votre
répertoire en n’hésitant pas à y inscrire des oeuvres souvent laissées
de côté. Je pense, par exemple, à l’Armide de Gluck, la Vestale de
Spontini, Médée de Chérubini, l’un des rôles les plus éprouvants de
tout le répertoire, Ermione et le Voyage de Reims de Rossini, ou
encore la Flamma de Respighi.

Vous avez enregistré dans leur intégralité plus de quarante opéras,
de Luisa Miller à Salomé, de Pamina à Isolde.

Vous avez déclaré que « la créativité d’un artiste naît de ses
sentiments intérieurs ». Dans chacun de vos rôles, vous nous faites
partager ces sentiments, en alliant une totale maîtrise des
contraintes techniques, la plus grande sincérité et la plus grande
spontanéité possibles, pour emplir l’espace sensible du temps. Un
temps que vous savez surprendre et suspendre dans les moments
extatiques et exceptionnels que vous faites partager à votre
immense public. Oui, avec vous, le temps n’est jamais le même. Il
s’enfle, se rétrécit, se concentre, prend la fuite, mais toujours
s’installe dans l’extase. Grâce à la richesse, à la maîtrise, à la
légèreté de votre « beau chant » vous provoquez, en chacun de
nous, un plaisir irrésistible, nous faisant entrevoir à quel point la musique est, comme le voulait Rossini, un art idéal. Car « elle
réveille l’homme, l’anime, le réconforte et le rend heureux (…) elle
réjouit, attriste, terrifie et émeut, mais elle ne peut imiter que la vérité
d’un son : elle est sublime, parce qu’elle s’élève au-dessus de la
nature ordinaire dans un monde idéal. Elle n’exprime qu’ellemême
».

Grâce à votre métier qui, avez-vous dit, « réclame amour, dévotion
et patience », vous exprimez plus que « la » musique, votre
ouverture sur toutes les couleurs et toute la diversité des musiques
et votre immense générosité.

Cette générosité s’est en particulier exprimé dans votre travail de
pédagogue, au service de la musique et du chant. Vous avez su
transmettre votre art et votre passion à de nombreux élèves, dont
beaucoup comptent aujourd’hui parmi les premiers artistes de la
scène lyrique.

Vous prenez l’initiative de concours internationaux, de séries de
concerts ou d’émissions télévisées, pour révéler des jeunes talents,
que votre exemple fascine.

Oui, vous avez le souci de la transmission et du rayonnement de
votre art. Vous avez chanté avec votre fille, Montserrat Marti, qui a
entrepris à son tour une carrière de soprano lyrique.

Vous n’avez pas hésité à franchir les cloisons et les frontières entre
les genres, en vous ouvrant au monde de la pop, où vous avez de
nombreux fans. Je pense en particulier, parmi bien d’autres duos
audacieux, aux albums que vous avez enregistrés avec Freddie
Mercury, et avec le groupe Meccano.

Votre générosité, votre foi en l’homme et dans sa capacité au
bonheur, imprègne votre action au-delà même du monde de la
musique.

Vous vous engagez avec passion, en mobilisant l’opinion publique,
pour des causes humanitaires, et spécialement pour la cause qui
vous est si chère, les enfants en détresse. Vous êtes ambassadrice
de bonne volonté de l’Unesco depuis 1994. Vous avez mis votre
dévouement au service des Nations Unies, parce que vous êtes,
non seulement l’une des plus grandes cantatrices de notre temps,
mais également, une femme universelle, une femme de paix.

En chacun de vos engagements, vous donnez le meilleur de vous-même,
votre bonté et votre grandeur d’âme. Vous avez reçu en
Espagne la plus haute distinction de l’Ordre de Doňa Isabel la
Católica.

Ce soir, je tiens à vous exprimer mon admiration et ma gratitude, et
celles de la France.

Montserrat Caballé, au nom du Président de la République et en
vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons
Chevalier de la Légion d’Honneur.


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