Archives de 2005

Recevez nos vœux de bonheur, de santé et de prospérité

28 décembre 2005

La conception que vous vous faite de votre cité à venir est plus que jamais notre conception : cité enfin moderne, ouverte sur l’avenir, cité rayonnante, dynamique et conquérante, cité où qualité de vie et développement économique et épanouissement culturel…

Comme toute période de transition, la fin d’année est toujours le moment privilégié où se conjuguent le souffle d’un passé récent et l’espérance heureuse d’un avenir qui reste à construire. A construire ensemble. Ensemble et pour l’épanouissement de tout un chacun, de chaque Tourangelle, de chaque Tourangeau, quelles que soient sa condition, sa différence, ses opinions. Souffle d’un passé récent, oui, parce que vous avez été à nos côtés pour soutenir le groupe d’opposition municipale dans son action quotidienne au service de la ville, des idéaux que nous défendons en votre nom, des aspirations légitimes auxquelles vous aspirez au plus profond de vous-mêmes, dans vos quartiers, vos rues, au sein d’associations, dans votre travail, au cœur de tout ce qui fait votre vie. De tout ce qui fait notre vie.

Mais aussi, oui, espérance heureuse, car vous savez que notre disponibilité est totale pour faire en sorte que les ferments de votre engagement citoyen, de votre sympathie naturelle à notre égard – chaque jour vérifiée – de votre sincérité dans vos paroles et dans vos actes, produisent les fruits que vous espérez tant : car vous savez que notre unique et seule vocation est de les amener à maturité. Parce que vos préoccupations sont d’abord nos préoccupations. Notre engagement est d’abord votre engagement. La conception que vous vous faite de votre cité à venir est plus que jamais notre conception : cité enfin moderne, ouverte sur l’avenir, cité rayonnante, dynamique et conquérante, cité où qualité de vie et développement économique et épanouissement culturel se déploient en harmonie et se vivent au plus près des réalités.

A l’aube de cette nouvelle année, alors que le gouvernement travaille dans la perspective de rester utile à chaque Française, à chaque Français, utiles à tous les Français, nous plaçons, nous aussi, le travail, la détermination et la volonté au cœur de notre projet et de notre action municipale. Inlassablement, nous répondrons à vos questionnements, à vos doutes, voire à vos angoisses, à tout ce qui fait qu’ensemble nous saurons aborder 2006 avec cette espérance qui nous tient au cœur et que nous souhaitons vous communiquer et vous offrir. Précisément, chères amies, chers amis, chères Tourangelles, chers Tourangeaux, recevez nos vœux de bonheur, de santé et de prospérité pour cette année 2006, afin qu’ensemble nous soyons prêts à relever les défis qui nous attendent, à combattre les fausses idées et faux projets d’une majorité municipale qui vous leurre, bref, à préparer pour notre ville de Tours, l’ambition qu’elle mérite et qui depuis près de dix longues années – force est de la constater – la contraint à ne plus être que l’ombre d’elle-même. C’est ce renouveau et cette renaissance que nous appelons, aujourd’hui pour demain, de nos vœux et de tout notre cœur.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre national du Mérite à Anny Goyer

22 décembre 2005

Chère Anny Goyer,

Vous dirigez avec passion l’École nationale du Cirque de Rosny-sous-
Bois, dont on peut en ces jours de fêtes applaudir les ateliers sous la nef
du Grand-Palais. En vous distinguant aujourd’hui, c’est aussi au monde
du cirque que le ministre de la culture et de la communication tient à
rendre hommage, dans son exigence et son idéal.

Le cirque, aujourd’hui, a évolué. Au cours des dernières décennies, il est
certainement, de tous les arts du spectacle vivant, celui qui a connu les
plus fortes mutations, dans ses esthétiques, sa pratique, ses publics et
son rayonnement également grandissants.

L’ensemble du monde circassien, qu’il soit d’essence traditionnelle ou
contemporaine, connaît actuellement le plus tonique des renouveaux.
Son dynamisme, sa vitalité, sont porteurs de riches et nombreuses
perspectives, auxquelles ce ministère apporte son soutien.

Mais la magie du cirque, c’est avant tout le fruit de l’engagement et de la
passion, du courage et du talent de ces artistes, dont vous êtes, qui
donnent aux arts du cirque l’incomparable élan qu’ils connaissent
aujourd’hui dans notre pays et que votre enseignement permet de
transmettre.

Vous-même avez consacré votre vie au cirque, avec ténacité et fidélité,
puisque pratiquement l’ensemble de votre parcours s’est déroulé, non
seulement dans le cadre de la Ville de Rosny-sous-Bois, mais au service
de la création, de la mise en place et du développement de l’Ecole
Nationale de Cirque qui y est établie et que vous dirigez aujourd’hui.

Je pense pouvoir dire que vous fêtez aujourd’hui 30 ans de collaboration
avec la Ville de Rosny-sous-Bois et quelque 23 années au service de
l’enseignement des arts du cirque, ce qui est un magnifique témoignage
de votre engagement personnel et de l’idée que vous vous faites des
missions auxquelles vous vous consacrez.

En effet, de 1975 à 1985, vous êtes secrétaire de direction auprès du
directeur et des animateurs de l’Office Municipal de la Jeunesse de
Rosny-sous-Bois, et, dans ce cadre, dès l’année 1983, vous vous
engagez pleinement, de façon active et bénévole, auprès de Bernard
Turin. Il a su réunir autour de lui une équipe enthousiaste et résolue,
dédiée corps et âme à la cause des arts du cirque, et dont, très vite, vous
devenez un élément moteur.

Du cirque, chère Anny Goyer, vous connaissez les joies, les émois et la
peur, l’effort de l’entraînement quotidien et les émotions de la piste
puisque, attirée depuis toujours par son univers, vous vous lancez sans
hésiter dans la pratique des activités aériennes destinées aux adultes
que Bernard Turin lance en 1983. Vous vous entraînez au trapèze, à la
corde, à la perche aérienne, au cadre fixe.

Vous n’êtes d’ailleurs pas la seule à vous passionner pour cette
pratique, et la mécanique du succès se met en route ! L’accueil du
public est en effet tellement enthousiaste que d’autres ateliers, de
jonglerie, de fil, de trampoline sont ouverts. Le projet de l’Ecole de
Cirque de Rosny-sous-Bois, ouverte en premier lieu à des amateurs
passionnés, est ainsi lancé et vous y consacrez dès lors le meilleur de
vous-même. Les résultats sont à la mesure de votre engagement : en
1988, l’Ecole ne compte pas moins de 300 adhérents.

Vous ne cessez par ailleurs d’oeuvrer à étendre le rayon d’action des
disciplines du cirque et à optimiser leur fantastique capacité à
développer le potentiel de chaque individu et leur pouvoir de rassembler.
Durant trois étés consécutifs, de 1986 à 1988, vous mettez
personnellement en place un atelier aérien pour les enfants d’un centre
de loisirs de Rosny-sous-Bois, et parvenez à créer, toujours à titre
bénévole, un atelier régulier pour enfants au sein de l’Ecole de Cirque.

En 1986 et 1987, vous assurez l’entraînement de deux numéros,
exécutés par 20 étudiants chacun, pour le traditionnel Gala des Grandes
Ecoles, spectacle de cirque avec plus de 300 participants, mis en scène
par Bernard Turin, que vous assistez d’ailleurs dans cette tâche en
1988.

En 1990, vous participez à l’implantation d’une école de cirque au
Centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis.

C’est en 1991, chère Anny Goyer, voici donc bientôt 15 ans, que vous
rejoignez totalement l’Ecole de Cirque de Rosny. Vous en êtes dès lors
l’attachée de direction, avant d’en assurer la direction en 1994, au
départ de Bernard Turin, à l’action et à la puissante personnalité de qui
je tiens ici à rendre hommage.

Outre votre arrivée à un poste de pleine responsabilité, 1991 est une
année-charnière pour l’Ecole de Cirque de Rosny, qui se voit alors
confier l’enseignement du 1er cycle du Centre National des Arts du
Cirque, menant au 1er diplôme d’Etat : le Brevet Artistique des
Techniques du Cirque.

En quelques années, vous avez su conforter, par votre profonde
connaissance du monde du cirque, par vos compétences
d’administratrice, par votre implication dans la direction pédagogique de
cet établissement ainsi que par vos qualités humaines et votre
chaleureuse générosité, la place de l’Ecole Nationale de Cirque de
Rosny-sous-Bois comme une école de référence et comme une pièce
maîtresse de la politique d’enseignement et de formation aux disciplines
du cirque, au-delà de la traditionnelle transmission familiale.

Je suis fier du dispositif d’enseignement supérieur des arts du cirque
dont dispose aujourd’hui notre pays. Le Centre National des Arts du
Cirque, l’Ecole Fratellini et l’Ecole que vous dirigez, chère Anny Goyer,
dispensent aujourd’hui un enseignement professionnel de haut niveau,
adapté au nouveau paysage circassien et au rayonnement qui doit être
celui de nos artistes sur notre territoire et au-delà de nos frontières.

Quarante et un étudiants sont actuellement en formation à l’Ecole
nationale de Cirque de Rosny-sous-Bois.

Au cours des deux années de formation, ils apprennent à maîtriser les
bases de la technique qu’ils ont choisie, à exprimer leur créativité à
partir d’une bonne appréciation de leurs propres possibilités physiques
et plastiques. Le propos est aussi de développer leur esprit collectif, de
leur faire acquérir maîtrise de soi, rigueur et indulgence, écoute des
partenaires.

C’est que l’école du cirque est aussi une école de vie, vous le savez,
Anny Goyer, mieux que personne, vous qui avez participé dès l’origine à
cette magnifique aventure de Rosny-sous-Bois. Elle était, au départ, le
fait d’un petit groupe d’amateurs passionnés par la pratique
circassienne. Aujourd’hui, par la qualité de son enseignement, elle
contribue à construire l’avenir du monde du cirque.

Il y a fallu, il y faut toujours, du courage et de la persévérance, car les
épreuves n’ont pas épargné l’entreprise.

En 1990, une première tempête entraîne la destruction d’un chapiteau.

Puis la terrible tempête de décembre 1999 ravage le site et contraint
l’école, ses équipes, ses praticiens amateurs, ses étudiants, à émigrer
pendant près de quatre ans, puisque le chapiteau ne se dressera à
nouveau sur son territoire qu’en décembre 2004.

L’exceptionnelle solidarité du monde du spectacle a joué à plein durant
ce laps de temps, puisque notamment la Ferme du Buisson vous a
accueillis avec la quasi-totalité de vos activités et de vos équipes.

Aujourd’hui, le superbe chapiteau de Patrick Bouchain dresse sur le
plateau d’Avon, site historique de l’école, ses volumes multicolores et
ses 7 mâts, dont 4 s’élèvent à plus de 15 mètres. Je dois dire que voir
ainsi se profiler dans l’espace cette structure audacieuse, tout à la fois
contemporaine et idéalisant l’image du cirque, représente, à chaque
visite que l’on fait à l’Ecole de Rosny, une invite irrésistible à entrer dans
l’univers circassien, – invite à quoi répondent parfaitement les 2 pistes
circulaires, les espaces d’entraînement et la capacité d’accueil de 650
spectateurs !

Pour autant, vous ne négligez pas d’ouvrir vos activités sur l’Europe et le
monde, et je suis particulièrement sensible à cet aspect de vos activités.
Vous-même êtes la secrétaire générale de la Fédération Européenne
des Ecoles de Cirque.

Je souligne aussi la part que vous prenez dans la mise en place d’un
cursus d’enseignement supérieur du cirque en Tunisie, sur le modèle de
celui qui existe dans notre pays, ainsi que les échanges initiés en 2005
et se prolongeant en 2006 avec les élèves d’une école d’Argentine.

Pour toutes ces raisons et pour votre investissement sans faille dans la
cause du cirque, de sa transmission, de son enseignement, je suis
heureux de vous distinguer aujourd’hui.

Chère Anny Goyer, au nom du Président de la République et en vertu
des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier dans
l’Ordre National du Mérite.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Philippe Petit

22 décembre 2005

Cher Philippe Petit,

Ce mot magnifique de « funambule » désigne d’abord votre activité et
prend grâce à vous toute sa force, car c’est bien sur le fil de votre vie et
de vos rêves que vous montez les spectacles les plus fous, c’est bien
de ce fil tendu à des hauteurs vertigineuses entre le ciel et le vide que
vous nous adressez d'éloquents messages de courage et de lucidité.

Vous êtes en effet ce funambule qui, depuis le début des années 70,
multiplie les défis, repousse les limites du risque et du danger.
En 1971, vous tendez votre fil entre les deux tours de Notre-Dame pour
danser et jongler dans les airs, après avoir transporté de nuit et en
secret, au terme de trois années de minutieuse préparation, comme
dans les meilleurs films policiers, câbles, cordes, filins, et tout le
matériel nécessaire !

C’est là, en hommage à la cathédrale que vous admirez, la première de
vos « installations clandestines » à si grande hauteur, celle qui lancera
votre réputation, même si les chemins de la célébrité passent alors par
une arrestation pour perturbation de l’ordre public.

En Australie, à Sydney, vous jetez votre fil entre les piliers du Sydney
Harbour Bridge, le plus grand pont d’acier du monde. A New-York, et
cette évocation d’un exploit fameux, qui vous a demandé six ans de
préparation et une tonne de matériel, nous est aujourd’hui
particulièrement sensible, entre les deux tours du World Trade Center.

Si je n’ai pas résisté à la tentation d’évoquer en premier lieu vos
opérations « clandestines » et leur panache, – il vous arrive d’ailleurs de
les comparer vous-même à « des attaques de banque » ! ,- c’est
qu’elles donnent la mesure du pouvoir de la volonté lorsqu’il s’agit de
transformer son rêve en réalité.

Pour autant, cher Philippe Petit, vous n’êtes pas un aventurier de
l’espace et de l’équilibre, mais bien au contraire un artiste exigeant,
pleinement reconnu dans le monde entier pour l’audace et le brio de
ses exploits.

Vous avez aussi apporté votre concours à de grandes manifestations
emblématiques.

Je reste particulièrement impressionné par votre participation, en 1989,
à la célébration du Bicentenaire de le Révolution Française : vous avez
alors effectué une grande traversée sur fil, du Trocadéro au deuxième
étage de la Tour Eiffel, devant deux cent cinquante mille spectateurs.

Comment oublier également votre « ascension » sur fil depuis l’Eglise
Saint-Merri jusqu’au Centre Pompidou ? Vos exploits au stade
monumental de la Nouvelle-Orléans devant 80 000 spectateurs ou aux
chutes de Paterson dans le New Jersey ? Votre participation
spectaculaire à la réouverture de la Statue de la Liberté ? Comment ne
pas rappeler votre émouvante traversée sur fil entre les quartiers juifs et
les quartiers arabes de Jérusalem pour l’ouverture du Festival d’Israël ?

Pour tout cela, pour forger une telle réussite artistique et personnelle, il
n’y a pas d’école et pas de maître. Vous avez saisi vous-même, dès
l’enfance, le fil rouge de votre destin et de votre mode d’expression,
simplement encouragé par l’exigence de perfection léguée par votre
père.

A l’âge de 6 ans, vous appreniez vos premiers tours de magie. A 12 ans
vous saviez jongler et marcher sur un fil. A 16 ans, le monde était votre
univers et la rue votre premier théâtre. Vous êtes reconnu, je l’ai dit,
dans le monde entier. Chemin faisant, vous avez appris l’escalade,
l’escrime, l’équitation, la menuiserie et le dessin, ainsi que l’anglais, le
russe, l’espagnol et l’allemand…. Vous vous êtes passionné pour
l’architecture, et n’avez jamais perdu le sens d’un humour aiguisé…

Vous êtes aussi, – ou peut-être d’abord, – homme de théâtre et de
cinéma et écrivain à part entière.
Des nombreux ouvrages que vous avez écrits, le « Traité du
funambulisme » peut apparaître pour le lecteur plus sédentaire que vous
ne l’êtes comme un précieux traité de vie.

Paul Auster, qui en a signé la préface, écrit – je le cite – que « le fil est
un art de la solitude, une façon d’affronter sa propre existence dans les
recoins les plus sombres, les plus secrets de soi », et il salue avec
respect la quête, la recherche de perfection, que cette discipline exige,
tandis que Wernez Herzog voit dans cet ouvrage « un livre de conseils
pour ceux qui oseront un jour l’impossible : marcher droit à travers ciel et
atteindre les étoiles… un livre qui montre l’art de remplir et illuminer le
Vide, vide entre deux tours, deux bords d’un ravin, deux planètes, ou
l’espace entre le coeur et l’esprit ». Je joins, cher Philippe Petit,
l’expression de mon admiration à ces prestigieux hommages.

Dans ce livre, où il est question de vent et de balancier, de courage,
mais aussi de la peur, de la chute possible et de sa terrible issue, on
apprend que le rêve est ascèse et effort.

« Je n’ai jamais peur sur le fil, je suis trop occupé », écrivez-vous, –
superbe leçon d’humilité.

Vous dites aussi, évoquant le funambule qui aborde sa traversée audessus
du vide : « La faute est de partir sans espoir ». C’est un beau message de confiance dans le pouvoir de l’homme sur lui-même et dans
ses capacités à repousser ses limites.

Je forme donc aujourd’hui des voeux chaleureux pour que tous vos
projets actuels et à venir soient pleinement couronnés de succès. Pour
que les ateliers et conférences que vous animez dans les institutions du
monde entier fassent de nombreux émules sur les chemins de la
créativité. Pour que la grange que vous construisez de vos mains dans
les environs de New-York selon les techniques du XVIIIe siècle
devienne rapidement ce petit théâtre que vous envisagez. Nous
attendons aussi avec impatience la sortie de votre prochain livre chez
« Actes Sud », intitulé non sans malice et avec poésie « « L’art du
pickpocket ».

Je souhaite enfin, puisque nous sommes à la saison des voeux, que
vous continuiez à alimenter ce lien, auquel je suis tellement attaché,
entre la communauté artistique de notre pays et celle des Etats-Unis,
puisque vous avez aussi lancé votre fil par-dessus l’Atlantique, et que
vous alternez séjours en France et vie à New-York, où vous êtes depuis
25 ans artiste en résidence à la Cathédrale Saint-John-the-Divine, la
plus grande cathédrale gothique du monde, que vous avez maintes fois
animée de vos exploits.

Cher Philippe Petit, au nom de la République, nous vous faisons
chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur à François Florent

22 décembre 2005

Cher François Florent,

C’est un grand plaisir et un grand bonheur de vous recevoir ici, au
ministère de la culture qui est avant tout, la maison des artistes, et de
vous y mettre à l’honneur.

Former et promouvoir de jeunes comédiens pour la scène et l’écran fut
et demeure pour vous le dessein d’une vie. Vous êtes une figure
emblématique de l’enseignement du théâtre depuis près de 40 ans
dans notre pays et je vous exprime ma gratitude d’avoir toujours inscrit
votre passion et vos objectifs dans un cadre européen dont vous savez
combien il me tient à coeur, et, au-delà, dans une perspective
internationale.

En effet, l’année 2005 est celle où l’école indépendante de formation
artistique que vous avez créée en 1967 et que nous aurions beaucoup
de mal, je l’avoue, à ne plus appeler, bien que ce soit votre souhait, le
Cours Florent, tant vous avez su en faire un élément essentiel de notre
vie artistique et culturelle, – où cette école, donc, transporte en Chine
son savoir, son expérience et son enseignement : vous organisez
dorénavant à Pékin des sessions et des stages de formation au métier
de comédien, pour des jeunes gens qui s’initient parallèlement à la
langue française.

C’est donc notre culture et notre patrimoine que vous contribuez à faire
connaître et aimer bien au-delà de nos frontières, à l’heure où
précisément la culture s’affirme comme un vecteur du rapprochement
des êtres et des peuples.

Cette ouverture sur l’Europe et le monde, elle vous vient, cher François
Florent, de votre enfance et de votre histoire familiale.
Vous vous réclamez en effet d’une triple culture.

Vous êtes né Allemand, en 1937, à Mulhouse. L’alsacien est votre
langue maternelle, et l’allemand celle de l’école primaire.
Puis vous devenez Français et vous apprenez en 1945, après la
Libération, votre langue, notre langue française.

Vous avez aussi la fibre anglo-saxonne, car, beaucoup des vôtres ayant
émigré en Angleterre ou aux Etats-Unis, vous participez également de
cette culture dont vous maîtrisez parfaitement la langue.

A cette triple culture, qui ne suffit évidemment pas à dépeindre la
richesse de votre personnalité, mais qui permet assurément d’en
approcher la complexité, il faut cependant, cher François Florent, en
ajouter une autre, issue du milieu très clérical de votre enfance, pour
compléter le portrait que vous tracez d’ailleurs de vous-même, lorsque
vous vous définissez comme catholique, jacobin, fédéraliste européen.
Si les circonstances historiques et géographiques de votre naissance
ont, sans nul doute, tracé votre destin d’Européen, c’est, aussi, le
contexte religieux de votre éducation et l’aspect spectaculaire des
choses de l’Eglise qui ont fait de vous l’incurable homme de théâtre que
nous connaissons.

« Enfant du Concordat, dites-vous en substance, j’étais enfant de
choeur, chantais du grégorien, étais partagé le dimanche entre les
charmes de la grand-messe du matin et de Madame Butterfly l’aprèsmidi,
et lorsqu’à l’âge de 12 ans, mes marraine, grand-mère et tante
m’ont emmené à Saint-Pierre de Rome voir le Pape Pie XII, je fus ébloui
par une mise en scène aussi grandiose ; ma vocation fut dans l’instant
arrêtée : je voulais être Pape ».

Votre arrivée à Paris, en septembre 1956, a quelque peu contrarié cette
vocation, car vous êtes accepté au Centre d’Art dramatique de la Rue
Blanche, puis vous entrez au Conservatoire, dans la classe de René
Simon. Dès lors, c’en était fait, et votre destin était scellé : votre
sacerdoce, c’est au service du théâtre, de ses auteurs et de ses acteurs
que vous alliez l’exercer.

D’ailleurs, combien de fois ne l’avez-vous dit et répété, aux générations
de comédiens que vous avez formées et dont vous avez accompagné
l’envol de carrières souvent brillantes : « N’oubliez jamais que nous ne
sommes pas là pour la gloire mais pour la servitude » ?

Servitude, ou plutôt service des grands textes et de la culture : c’est là
pour vous un véritable credo. Service de la scène et de l’Art, qui sont les
plus beaux métiers, mais sans doute aussi les plus difficiles, les plus
belles vocations à transmettre, mais aussi, sans doute, les plus
exigeantes.

A vos débuts, une certaine timidité, voire un peu de maladresse à
habiter votre physique, représentent pour vous un handicap. Vous vous
réfugiez dans une certaine emphase et les emplois de vieillards nobles.
Vous vous prenez d’une jalousie dévorante pour Gérard Philipe que
vous vous évertuez à trouver mauvais, et il vous arrive aujourd’hui
encore de déplorer qu’un Gérard Depardieu n’ait pas à l’époque
bouleversé la donne des idées reçues sur le physique d’un acteur de
théâtre ou de cinéma !

Puisqu’il fallait être – comment dire, en bon français ? – « glamour »…
pour être acteur, vous décidez que c’est du fond de la salle que vous vous exprimerez, que c’est dans l’ombre que vous rencontrerez votre
vérité, que c’est aux autres que vous laisserez la lumière.

Ce faisant, vous n’étiez sans doute pas conscient, cher François Florent,
que c’est vous qui deveniez la lumière, et que, votre carrière durant,
vous alliez la diriger sur la vaste scène du nécessaire apprentissage de
ce dur et beau métier de comédien.

De 1962 à 1967, vous êtes professeur d’art dramatique au
Conservatoire du 17ème arrondissement, puis au Conservatoire de
Puteaux.

En 1967, vous créez le Cours Florent, et rendez ainsi fameux le
pseudonyme que vous aviez adopté à votre arrivée à Paris, votre
véritable nom étant François Heichholtzer.

Longtemps installé Quai d’Anjou, le Cours Florent occupe aujourd’hui de
vastes locaux, répartis sur 3 sites, à la mesure de son audience.

L’équipe pédagogique et d’encadrement compte une centaine de
personnes et les 3 années du cycle de formation regroupent un millier
d’élèves, véritable pépinière de nos plus beaux talents. Sophie Marceau,
Isabelle Adjani, Daniel Auteuil, Anne Parillaud, Jacques Weber, José
Garcia, Gad Elmaleh, Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Yvan Attal,
Guillaume Canet, Isabelle Carré ont tous bénéficié de votre formation.

Vous êtes un pédagogue qui se défie de toute recette. Vous préférez
l’expérience à la théorie, laissant toute liberté aux professeurs qui
enseignent chez vous. Pour que les élèves acquièrent virtuosité et
souplesse, vous aimez à leur proposer des confrontations de styles, de
thèmes ou d’auteurs, lors d’exercices de style opposant scènes en
alexandrins à scènes de vaudevilles, Marivaux à Goldoni, personnages
brechtiens aux valets et soubrettes du XVIIIe siècle.

En 1979, avec Francis Huster, aujourd’hui doyen des professeurs de
l’École, après en avoir été l’élève, vous initiez « la classe libre », qui
accueille sur concours une vingtaine d’élèves pour une scolarité gratuite
de deux ans, et qui compte aussi à son palmarès quelques-uns des plus
beaux talents de notre scène et de notre écran, telle Dominique Blanc,
issue de la première promotion.

En 1984, au nom de votre combat pour substituer les notions
d’institutionnel et d’indépendant à celles de public et de privé, vous
entreprenez une véritable croisade pour que l’école que vous avez
fondée et que vous dirigez ne soit plus appelée « Cours Florent », mais
« Florent : école indépendante de formation artistique », revendiquant
haut et fort votre liberté et votre indépendance, ainsi que vos convictions
européennes, grâce à d’éloquents intitulés : « Florent, European Acting
School » et « Florent, europaïsche Schauspielskunstschule ».
De toute façon, cher François Florent, votre personnalité, votre rôle
éminent, depuis 40 ans, dans l’enseignement de l’art dramatique, vous
permettent de transgresser toutes les catégories. Nous vous aimons
pour votre passion, pour votre engagement au service de
l’enseignement du théâtre, pour votre foi en l’Europe, votre mépris des
modes, vos colères et votre truculence.

Votre appétit de théâtre et d’enseignement vous a conduit aussi à
diriger, de 1970 à 1973, l’Ecole du Théâtre Populaire de Reims auprès
de Robert Hossein, et à être membre-fondateur depuis 1990 du World
Theater Training Institute.

Depuis l’année 2000, vous avez initié une nouvelle aventure en prenant
la direction du Théâtre du Marais, et ce fut un très beau passage de
témoin avec Jacques Mauclair avant que celui-ci malheureusement ne
nous quitte. Votre propos est essentiellement d’en faire un tremplin pour
les jeunes comédiens et les jeunes compagnies, et d’y accueillir
régulièrement les travaux des écoles supérieures d’art dramatiques
européennes. Le succès est aujourd’hui au rendez-vous, avec « Vincent
River » de Philip Ridley dans la mise en scène de Jean-Luc Revol.

François Florent, au nom du Président de la République et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier dans
l’Ordre national de la Légion d’Honneur.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur à Elisabeth Maurin

22 décembre 2005

Chère Elisabeth Maurin,

Aujourd’hui est, presque jour pour jour, la célébration d’un anniversaire.

C’est en effet le 23 décembre 1988 que, lors du tournage de Casse-
Noisette qui était enregistré pour la télévision française, vous avez été
nommée danseuse-étoile par Rudolf Noureev. Force des symboles, il
interprétait lui-même le rôle de Drosselmeier, parrain de l’héroïne. Il fut
le vôtre.

Casse-Noisette est l’un de vos ballets-fétiches. Vous avez dansé le rôle
de Clara dans les visions très différentes de John Neumeier ou de
Noureev, après avoir été, à vos tout débuts, l’un des flocons de neige
du ballet. Comme toute grande interprète qui aborde un rôle
emblématique du répertoire, vous l’avez à votre tour marqué de votre
aura, de votre talent dramatique et de votre technique éblouissante.

Pour être alors la petite fille émerveillée au pied du sapin de ce conte
de Noël, il vous fallait être déjà une grande dame.

Vous êtes en effet, chère Elisabeth Maurin, une grande dame de la
danse, par votre virtuosité, votre perfectionnisme, votre travail acharné,
comme par votre capacité d’analyse et d’intelligence de vos rôles, votre
souci de mettre en avant le « jeu » dramatique. Vous êtes de celles et
de ceux qui, ayant une réflexion sur leur art, n’ont de cesse de le fouiller
et de le pousser toujours plus loin, de la façon parfois la plus
surprenante. Vous savez, à volonté, devenir drôle, tragique ou grave,
mais demeurer aussi légère, ingénue, romantique.

Votre première rencontre avec la danse fut pourtant fortuite.

Vos parents ont voulu vous inscrire, à l’âge de 4 ans, dans un cours de
judo, comme vos frères ! Un hasard heureux a voulu qu’ils trouvent
porte close ! A l’étage du dessous, se trouvait le cours de danse
classique d’une ancienne étoile des Ballets du Marquis de Cuevas,
Janine Joubert, qui fut votre premier professeur, et avec qui vous êtes
toujours restée en contact.

Elle décèle très vite vos dons, et vous incite à tenter l’école de danse de
l’Opéra national de Paris, où vous êtes immédiatement admise, à l’âge
de 9 ans. Claude Bessy, qui en assurait depuis peu la direction, est, dès
cette époque, frappée par vos dispositions pour le jeu et vos talents de
comédienne.

A seize ans, vous êtes engagée dans le corps de ballet, où Rosella
Hightower vous confie vos premiers rôles de soliste : Cupidon dans le
Don Quichotte de Noureev en 1981, l’Oiseau bleu dans La Belle au bois
dormant en 1982.

En 1983, vous êtes nommée sujet et interprétez Coppélia dans la
version de Pierre Lacotte, l’un de ces rôles de poupée, de princesse ou
de fée pour lesquels vous semblez faite, même si votre étonnante
puissante dramatique et votre capacité d’interprétation vous entraînent
par la suite très vite vers bien d’autres styles.

Cette même année vous êtes repérée comme l’une des jeunes
danseuses les plus prometteuses du Ballet de l’Opéra de Paris et vous
recevez le Prix Carpeaux, qui venait d’être créé, ce prix décerné par les
amis les plus anciens et les plus fidèles du ballet de l’Opéra, dont la
vocation est d’encourager les jeunes espoirs de la première compagnie
de danse française.

D’autres Prix viendront jalonner votre carrière : le Premier Prix du
Concours International d’Osaka, que vous remporterez avec Manuel
Legris en 1984 ; le Prix du Public, décerné par l’AROP, Association pour
le Rayonnement de l’Opéra de Paris, qui vous sera attribué en 1989.
C’est en 1985 que vous êtes promue « Première danseuse ».

Je dois renoncer au plaisir d’évoquer ici chacun des rôles que vous avez
marqués de votre personnalité, auprès de chorégraphes aussi divers et
aussi prestigieux que Serge Lifar, Jérôme Robbins, Maurice Béjart, mais
aussi Joseph Lazzini, Harald Lander, Roland Petit, Paul Taylor et bien
d’autres. Vous avez bien sûr interprété, avec toute la force de votre
personnalité, des chorégraphies de George Balanchine, brillant
témoignage de la puissance de l’interprète face à la vision du créateur,
que vous rejoignez à travers l’extrême sensibilité musicale qui constitue
une large part de votre signature artistique.

Vous défendez et illustrez le répertoire chorégraphique, avec, au sens le
plus fort de ces termes, âme et conscience, et je donne ici à ces mots
toute la valeur et toute la force que leur confèrent la grâce et le talent
d’une artiste aussi lumineuse et aussi inspirée que vous l’êtes.

Je pense que l’un des souvenirs les plus étonnants de votre carrière
reste ce jour de 1983, un 1er mai je crois, où Rudolf Noureev vous a
demandé d’être sa partenaire à l’Opéra de Vienne dans Giselle.

Vous n’aviez que deux jours pour apprendre le rôle, ce que vous avez
fait sous la direction d’Yvette Chauviré et vous êtes montée sur scène
sans répétition, votre plus belle récompense étant le regard empli de
bonheur de Noureev face à votre performance.

Vous parlez encore aujourd’hui de Giselle comme du rôle des rôles et
tenez, sur votre appropriation de cette figure mythique du répertoire, des
propos qui éclairent la relation complexe que l’interprète tisse avec son
personnage, et sur la distance à garder avec la tentation d’une
excessive identification.

Cette force d’interprétation, je tiens à souligner que Brigitte Lefèvre n’a
eu aucun mal à vous convaincre de la mettre au service des créations
contemporaines qui contribuent aujourd’hui au rayonnement du Ballet de
l’Opéra National de Paris, qu’elles soient signées Lar Lubovitch, Angelin
Preljocaj, Daniel Larrieu, Odile Duboc, Michel Kelemenis, ou encore
Laura Scozzi dans Les Sept Péchés capitaux de laquelle vous avez, en
2001, donné toute la mesure , – toute la démesure, devrais-je dire, chère
Elisabeth Maurin ! – de votre fantaisie et de votre créativité, en poussant
à l’extrême l’infinie palette de vos émotions !

Bien éloignée de la petite Clara de vos débuts, Juliette, du Roméo et
Juliette de Noureev, enfant elle aussi, mais projetée dans la tragédie,
demeure l’un de vos personnages préférés. C’est que vous y trouvez ce
que vous demandez avant tout à un grand rôle, l’expression de
l’humanité la plus pure, et que vous y réalisez la parfaite synthèse de la
danse, de la dramaturgie, de la virtuosité et de l’émotion.

C’est d’ailleurs Juliette que vous avez choisie, en juin dernier, lors de
cette si mémorable et émouvante soirée, où 2700 spectateurs vous ont
manifesté leur fidélité et la profondeur de leur attachement, durant une
demi-heure d’acclamations debout.

Mais vous ne quittez pas le Ballet, puisque, grâce à vous, Juliette,
Giselle, Odette, Odile, Clara, Nikya, et tant d’autres héroïnes fameuses
de l’histoire de la danse, comme celles fraîchement issues de
l’imaginaire des créateurs d’aujourd’hui, seront transmises avec
générosité, intelligence et sensibilité, à de nouvelles générations de
jeunes danseuses. En effet, en septembre dernier, vous avez pris vos
fonctions à l’Ecole de Danse de Nanterre, où vous vous épanouissez
désormais comme pédagogue exceptionnelle.

Elisabeth Maurin, au nom du Président de la République, et en vertu des
pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier dans
l’Ordre national de la Légion d’Honneur.

Négociation de l’accord d’assurance chômage

22 décembre 2005

Je défends, à l’Assemblée, le projet de loi sur les droits d’auteur. Le vote surprise de la licence globale nous a piégés ! Et la même nuit, on me dit que les partenaires sociaux s’apprêtent à signer le même accord qu’en 2003. Ce serait reçu comme une provocation ! Ils sont lassés par le sujet des intermittents, épuisés par les négociations sur la convention générale d’assurance chômage, qui se ont été plus longues et plus difficiles que prévu. Je suis suspendu à mon portable. Heureusement, la CGC et la CFTC sont convaincus qu’il vaut mieux prolonger de quelques semaines les annexes 8 et 10 pour laisser le temps à la négociation de se poursuivre et de se conclure dans des conditions plus favorables que dans l’exaspération de la fin d’année. On maintient en attendant les mesures transitoires ! Soulagement !

Discussion du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information à l'Assemblée Nationale

20 décembre 2005

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs les Députés,

Notre rendez-vous d’aujourd’hui, nous le savons tous, est très attendu.

Oui, je
n’hésite pas à le dire : ce débat est un débat historique. Lorsque nous l’aurons
mené à son terme, une dynamique positive, et je l’espère, une vraie
réconciliation, en faveur de l’accès à la connaissance, de la création, et du
rayonnement des oeuvres sera pour longtemps lancée. Internet est un espace
de liberté : ce texte préserve cette liberté et il rend possible une offre nouvelle
de diffusion des oeuvres artistiques et des idées. Ce texte garantit autant les
droits des consommateurs et des internautes que les droits des créateurs. Il
tourne le dos aussi bien au manichéisme, à l’obscurantisme qu’à la démagogie
facile. Parce qu’entre la jungle, et la dérégulation ultra-libérale, et la geôle,
comme seul vecteur de prise de conscience et de responsabilité, entre
l’anarchie et la tyrannie, entre l’univers virtuel sans entraves et les contraintes
des procédures, nous aurons ouvert une troisième voie, observée et attendue
comme telle par nos partenaires de l’Union européenne.

Oui, il y a un espace intelligent et humaniste entre l’anarchie et la tyrannie,
entre l’univers virtuel sans entraves et les contraintes et les procédures.

C’est
le cas lorsque la liberté de soi va de pair avec le respect de l’autre. C’est le cas
de l’espace que je vous invite à ouvrir avec ce texte.

Trois valeurs inspirent ce texte. La première d’entre elles est l’accès du plus
grand nombre à la culture. Dans un monde qui devient numérique, le
consommateur doit pouvoir accéder librement à une offre riche et diversifiée, il
doit pouvoir continuer à faire des copies à titre privé, et l’existence de la copie
privée sera garantie par ce texte, ce sera la mission d’une nouvelle autorité
administrative indépendante, le Collège des médiateurs. Il ne s’agit pas de
verrouiller, ni de cadenasser, mais de créer les conditions pour que le
consommateur puisse profiter de sa liberté sur Internet pour accéder à une
offre culturelle riche et diversifiée.

Car la deuxième valeur fondamentale, c’est la diversité culturelle. Une valeur
de tous les temps, qui a franchi un nouveau cap en entrant dans le droit
international le 20 octobre dernier, avec l’adoption, à la quasi-unanimité de la
communauté internationale, de la convention de l’Unesco. Mais qui suppose
d’être concrètement garantie pour n’être pas un leurre.

Troisièmement le droit d’auteur est un droit fondé sur une valeur qui demeure
plus que jamais actuelle dans une société qui doit affronter les défis de
l’avenir : celle de la création. La création qui s’enrichit et se nourrit sans cesse
de nouvelles oeuvres, qui rencontre de nouveaux publics, grâce à la
démocratisation de la culture qui est sans doute l’un des plus grands acquis du
dernier demi-siècle, grâce à l’essor des industries culturelles.

L’avènement de
la société de l’information et de l’ère numérique a accentué cette évolution, qui
est d’autant plus positive, que la vitalité et la liberté des créations de l’esprit
sont protégées, dans toute leur diversité.

Le projet de loi que je soumets aujourd’hui au nom du gouvernement à la
Représentation nationale, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la
société de l’information, est issu d’un long cheminement. Ce texte s’enracine
dans une longue histoire qui, de l’âge classique jusqu’à la Révolution, est une
véritable conquête. La conquête progressive, à travers les siècles, d’un droit qui
est d’abord une liberté, l’affranchissement d’une tutelle tantôt bienveillante,
tantôt pesante, qui plaçait les auteurs à la merci des puissants, auxquels ils
devaient attacher leur subsistance et l’exercice de leurs talents, s’ils étaient
eux-mêmes dépourvus de fortune. Ainsi Scarron implorait le roi :

« De toutes vos vertus, si Votre Majesté
M’en voulait donner une
Celle que je requiers, Sire, c’est Charité,
Qui vous est si commune ;
Elle croîtrait en vous en s’étendant sur moi,
Car telle est sa nature.
Faîtes en donc l’épreuve, ô magnanime roi,
Sur votre créature… »

Et La Fontaine, à soixante-treize ans, dédie ainsi au jeune Duc de Bourgogne,
douze ans, le dernier livre de ses fables : « Il faut que je me contente de
travailler sous vos ordres. L’envie de vous plaire me tiendra lieu d’une
imagination que les ans ont affaiblie. »

C’est une véritable émancipation, née de l’esprit des Lumières, du combat de
Beaumarchais, de la fougue du romantisme, faite de reculs et d’avancées
successives. C’est la faillite de Balzac, narrée dans Les Illusions perdues, face
à l’introduction des nouvelles technologies de l’époque dans l’imprimerie, qui
entraînera l’avènement d’une nouvelle économie du livre et de la presse au
XIXe siècle. C’est l’énergie de Hugo, dénonçant devant un congrès qui ouvre la
voie à la reconnaissance internationale du droit d’auteur ce « sophisme
singulier, qui serait puéril s'il n'était perfide : la pensée appartient à tous, donc
elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n'existe pas. »

Oui, les
soubassements de l’édifice législatif, dont le rapport de votre commission des
lois décrit si clairement la genèse, sont profonds.

Pourquoi y a-t-il urgence à légiférer ? Vous rappelez dans votre excellent
rapport, Monsieur le Rapporteur, que l’urgence est d’abord juridique. En effet,
ce texte a pour origine une directive européenne, dont vous rappelez la longue
élaboration, entre 1997 et 2001, et qui aurait dû être transposée avant le 22
décembre 2002. La France n’est pas la seule à ne pas l’avoir fait, mais il était
grand temps qu’elle le fasse. Il ne vous a pas échappé que le projet de loi a été
déposé sur le bureau de votre Assemblée par mon prédécesseur. En cette
matière comme en d’autres, je me suis attaché à tenir les engagements de la
France et surtout à appliquer une méthode : la concertation et le dialogue. Ce
texte a été soumis à la concertation au sein du Conseil supérieur de la propriété
littéraire et artistique, qui l’a longuement et mûrement examiné. J’ai écouté et
entendu les professionnels, qui souhaitent saisir les chances, mais redoutent
les menaces, liées aux nouvelles technologies numériques, et veulent en
conséquence faire respecter les règles nécessaires au code de la route sur les
nouvelles autoroutes de l’accès aux oeuvres, aux savoirs, aux produits culturels.

J’ai écouté et entendu les auteurs attachés au respect de leurs droits.

J’ai
écouté et entendu nos concitoyens de toutes les générations, internautes,
consommateurs et amateurs des formidables libertés et des découvertes
nouvelles offertes par l’Internet. Mais liberté ne veut pas dire gratuité.

C’est
pourquoi l’urgence de ce texte est aussi culturelle et politique, et il était
nécessaire que la Représentation nationale en soit saisie.

Dès mon arrivée rue de Valois, j’ai présenté, au Conseil des ministres du 19
mai 2004, un plan d’action, avec trois lignes directrices principales.

Tout d’abord, développer une approche globale pour répondre à ce défi, parce
qu’il n’existe malheureusement pas de solution miracle et unique.

Ensuite, créer un équilibre, notamment entre le développement d’un maximum
de nouvelles offres légales attractives pour développer l’accès à la culture, et la
lutte contre la contrefaçon numérique.

Enfin, ouvrir le dialogue et engager la concertation, décloisonner le monde de la
culture et l’univers des nouvelles technologies, les créateurs, les industriels et
les consommateurs.

Après le vote de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, il était
urgent de renouer les fils du dialogue, de sortir de la caricature, du cliché, de
l’anathème, de l’excommunication. J’ai tenu à engager aussitôt une
concertation entre les industries culturelles et les fournisseurs d’accès à
Internet, qui ont été réunis le 15 juillet 2004.

Ce dialogue a abouti à la signature d’une charte « musique et Internet » le 28
juillet 2004 à l’Olympia, pour sensibiliser les internautes, notamment les jeunes,
mettre en place des messages de prévention et développer une offre légale et
attractive de musique en ligne.

Parce que l’éducation joue évidemment un rôle primordial, le gouvernement a
tenu à sensibiliser en particulier les collégiens à la « civilité de l’Internet », et
confié au Forum des droits sur l’Internet la réalisation d’un guide pédagogique
sur le téléchargement.

François Loos et moi-même allons lancer au mois de janvier prochain une
campagne de prévention, afin de sensibiliser les citoyens aux dommages liés à
la contrefaçon numérique.

Les fournisseurs d’accès à Internet ont, depuis la signature de cette charte, et
pour répondre également à la demande faite par votre Assemblée lors du vote
de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, largement moralisé leur
publicité et développé la sensibilisation de leurs abonnés, avec l’appui de la
filière musicale, qui a préparé plusieurs vidéos de sensibilisation.

En ce qui concerne l’offre légale, les producteurs de disque se sont engagés
dans une vigoureuse action de numérisation de leurs catalogues. Le
gouvernement a mis en place un baromètre de l’offre musicale en ligne, au sein
de l’observatoire de la musique, qui publie régulièrement les chiffres de la
disponibilité des titres de musique sur les plates-formes en ligne. Ce baromètre
a ainsi montré que l’offre « française », y compris les catalogues internationaux
habituellement distribués en France, était passée de 300 000 titres fin 2004, à
plus de 700 000 titres en juin 2005.

Une campagne de promotion du téléchargement légal a été lancée avec le
concours de 14 artistes en janvier 2005, avec le soutien du ministère, pour dire
que la musique est disponible sur des sites et des portails qui respectent les
droits des créateurs et des producteurs.

Le gouvernement a, dans le cadre des orientations de la charte, confié à
Antoine Brugidou et Gilles Kahn une mission d’expertise des technologies de
filtrage, afin d’aboutir à une offre volontaire d’outils de protection contre la
contrefaçon, proposée aux abonnés à Internet. Leur rapport, remis le 10 mars,
recommande d’expérimenter des outils de protection sur le poste de l’abonné,
ainsi que des outils d’observation. Les partenaires travaillent en ce sens.

Parallèlement à ce dialogue entre les professionnels de la musique et de
l’Internet, j’ai moi-même engagé le dialogue entre les professionnels du cinéma,
de la télévision et de l’Internet. La concertation que j’ai menée a abouti cet après-midi à la signature d’un accord sur le cinéma à la demande.

Cet accord
est capital car il permettra à l’offre légale en matière de cinéma de se
développer, sans déstabiliser la filière cinématographique.

Ce dialogue avait aussi pour objectif de proposer une alternative aux poursuites
judiciaires, et a débouché sur une proposition d’architecture pour une réponse
graduée, dont vous soulignez très justement la nécessité dans votre rapport,
Monsieur le Rapporteur : l’idée est de commencer par envoyer des messages
d’avertissement, avant de prononcer une sanction adaptée.

Enfin, j’ai souhaité également que s’engage un dialogue entre les titulaires de
droits et le ministère de l’éducation nationale, afin d’autoriser certains usages
pédagogiques des oeuvres protégées. J’ai ainsi signé, dès le 14 janvier 2005,
une déclaration commune avec le ministre de l’éducation nationale. Cette
déclaration a permis les négociations qui sont en train d’aboutir entre
l’Education Nationale et les ayants droit de la musique, du livre, de la presse
écrite, des arts plastiques et de l’audiovisuel, afin de permettre un accès à la
connaissance, y compris par des modes numériques, sans léser excessivement
les détenteurs de droits.

En ce qui concerne les bibliothèques, une mission de concertation entre les
bibliothécaires et les éditeurs a été confiée à François Stasse, qui a remis son
rapport en juin dernier, formulant plusieurs propositions dont certaines très
innovantes. Sur ces bases, le ministère a engagé une concertation qui doit se
poursuivre.

L’ensemble de ces actions poursuit un seul but : développer le maximum de
nouvelles offres et de nouveaux usages, dans un cadre respectueux des droits
des créateurs. Il s’agit bien ici de réhabiliter la démarche contractuelle, et de
faire du droit d’auteur un droit qui autorise, qui permet, qui ouvre des
possibilités nouvelles, plus qu’il n’interdit. Néanmoins, il est nécessaire de
mettre en place aujourd’hui un cadre juridique propice à l’émergence de ces
nouvelles offres, et d’orienter vers elles les consommateurs. C’est l’objet
principal de ce projet de loi.

Il ne faut pas envisager le droit d’auteur seulement sous son angle technique,
celui d’un cadre juridique complexe, du code de la propriété intellectuelle et
d’une jurisprudence importante. Il s’agit d’une réglementation qui régit et
accompagne aujourd’hui notre vie quotidienne, la vie de tous ceux qui lisent,
surfent sur Internet, écoutent la radio, regardent la télévision, et goûtent chaque
jour aux produits de la consommation culturelle. Nombreux sont nos
concitoyens qui s’interrogent aujourd’hui, je le sais, sur ce qu’ils ont le droit de
faire, nombreux sont ceux qui succombent aux sirènes qui leur promettent un
accès illimité à la culture gratuite. Notre débat aura donc une grande valeur
pédagogique, il tâchera de faire justice de la démagogie, du leurre de la gratuité
et des fausses bonnes idées, de déjouer les craintes infondées et de construire
des réponses adaptées à l’évolution rapide des techniques. Car l’urgence est
aussi technologique.

Et cette accélération doit continuer à permettre aux
créateurs de vivre de leur propre travail. Chacun peut comprendre que le travail
des créateurs doit être rémunéré et ne peut pas être durablement gratuit, et
qu’il est juste que ceux qui bénéficient de ce travail le rémunèrent. La gratuité
totale de la culture sur Internet est un leurre, parce que la rémunération des
créateurs est non seulement légitime, mais aussi nécessaire pour préserver le
renouvellement de la création et la diversité culturelle. Ne pas rémunérer la
création ou la rémunérer forfaitairement c’est l’assécher, c’est favoriser la
concentration, en décourageant la prise de risque.

Il est en effet un leurre : celui du sentiment de l’accessibilité infinie au marché
mondial. C’est un rêve. Qu’on ne se méprenne pas ! Nul doute qu’Internet peut
être une chance formidable, en particulier pour les jeunes talents.

Encore faut-il
ne pas y être noyé mais repéré, détecté, reconnu. Le risque de concentration autour de quelques artistes reconnus et de quelques oeuvres reste réel et peut
même s’amplifier. Une juste distinction doit s’opérer entre la promotion et la
découverte librement consenties des talents et le pillage subi de leurs oeuvres.

Qu’on ne s’y trompe pas d’ailleurs. Internet ne détournera pas le public de la
magie du spectacle vivant, du livre, du cinéma en salle. Il peut, il doit mieux le
faire connaître à tous les publics et, en particulier, aux plus jeunes de nos
concitoyens. Cela passe aussi à l’évidence par l’amplification des actions
d’éducation à l’image.

La perspective d’une diffusion immédiatement mondiale crée parfois de faux
espoirs, voire des illusions dangereuses. Le rêve pour un jeune artiste est
évidemment la rencontre avec le public, avec son public.

L’urgence est donc aussi économique. C’est le modèle économique de la
création qui est en jeu. C’est la prise de risque et l’investissement, tant financier
que personnel, sans lequel il n’y pas de création, c’est-à-dire pas de diversité
culturelle et pas d’emplois dans ce secteur qui est un vivier d’activités.
L’urgence est donc aussi sociale.

Pour répondre à ces urgences, le texte que je vous présente aujourd’hui est un
texte d’équilibre. La propriété littéraire et artistique ne couvre pas les idées,
mais leur expression, elle n’a qu’une durée limitée dans le temps et peut faire
l’objet d’exceptions, notamment pour l’usage privé qui reste garanti.

Car la révolution numérique ouvre des perspectives extraordinaires de
développement de nouvelles pratiques, de nouveaux chemins d’accès à la
culture. L’innovation dans ce domaine est permanente et les nouvelles offres
foisonnent. Je pense à la télévision numérique terrestre, entrée dans un million
de foyers, au câble numérique, à l’ADSL (Ligne d’abonné numérique à débit
asymétrique), aux nouveaux services audiovisuels, aux premières
expérimentations de vidéo à la demande.

Je pense aussi à l’accélération, voulue et mise en oeuvre par le gouvernement,
de la couverture de l’Internet à haut débit. Il est clair que le développement de
la mobilité, dans tous les domaines, crée des chances nouvelles d’accès à la
culture pour tous, bien au-delà des « usines de rêve » qu’imaginait Malraux
lorsqu’il créa le ministère de la culture.

Je pense enfin au développement de nouvelles offres de téléchargement de
musique, qui ont explosé à partir de l’été 2004. Ce sont ainsi plus d’une
vingtaine de plates-formes légales qui sont désormais accessibles, offrant au
public un catalogue allant de 700 000 à plus d’un million et demi de titres, dans
des conditions attractives, puisque le prix d’un titre est fixé à 0,99 euro contre
4,1 euros en moyenne pour un « single » deux titres, et à 9,99 euros contre
13,6 en moyenne pour un album. Ces offres rencontrent un véritable succès,
puisque le nombre de téléchargements a augmenté de 260%, entre le premier
semestre 2004 et 2005, sur les quatre principaux marchés mondiaux.

Des offres innovantes se développent, de nouveaux modèles économiques se
créent. Ces offres nouvelles ne cessent de s’enrichir et de se diversifier.

De
nouvelles plateformes pour le cinéma et l’audiovisuel se mettent actuellement
en place. Sur ces sujets je veux récuser toute idée de forfaitisation de la
rémunération des créateurs. Il s’agit, vous l’aurez compris, je pense, de la
licence légale. C’est une fausse bonne idée. Elle consiste pour le
consommateur à renchérir, quelle que soit sa consommation effective, le coût
de son abonnement. Elle appauvrit le créateur à son corps défendant, en le
rémunérant sans tenir compte de l’exploitation et du succès de son oeuvre.

Si certains distributeurs veulent créer des offres forfaitaires, c’est à eux
d’assumer les risques de cette forfaitisation et en aucun cas aux créateurs, comme vous en avez d’ailleurs et justement décidé en 2001, à propos des
formules d’accès au cinéma permettant des entrées multiples.

J’ai souhaité avec mon collègue chargé du travail que s’engage un dialogue
entre les artistes interprètes et les éditeurs de phonogrammes, afin que la
rémunération des oeuvres et de toutes leurs utilisations puissent être garanties
par un accord collectif.

L’émergence des nouvelles offres légales, dans un contexte régulé, est au
coeur de notre projet de loi.

Ce texte a pour objet d’apporter des réponses à ce paradoxe : jamais l’accès à
la culture n’aura été aussi facile et aussi large ; jamais la création n’aura été
aussi menacée. C’est-à-dire, non seulement nos capacités de rêver et
d’inventer des espaces imaginaires en interrogeant le réel, mais aussi nos
emplois, notre rayonnement, le message que nous adressons au monde, notre
attitude collective face à l’avenir.

La grande différence entre l’univers analogique et l’univers numérique, c’est
qu’il est possible de fabriquer un très grand nombre d’ « originaux ». Il fallait
trouver les réponses adéquates, permettant de préserver l’exception pour copie
privée, sans alimenter pour autant la contrefaçon, qui n’est rien d’autre, tout
simplement, que du vol.

L’efficacité des nouveaux systèmes d’échanges de fichiers est formidable.

Quand ils sont les vecteurs de la contrefaçon, elle est redoutable.

Utilisant
généralement les technologies « pair-à-pair », elles permettent d’accéder à de
nombreuses oeuvres, dans une qualité souvent identique à l’original.

L’illusion
de la gratuité conduit désormais une partie des consommateurs à considérer
que toute offre payante est trop chère, et oblige les industries culturelles à
s’engager dans une spirale de baisse des prix, qui leur permet de limiter la
baisse des ventes en volume, au prix de la baisse de leur chiffre d’affaires,
c’est-à-dire, in fine, des ressources dont elles disposent pour investir dans la
création et les nouveaux talents. Un cercle vicieux pourrait s’engager, ce
manque de création nouvelle, risquant d’entraîner une désaffection du public.

Il s’agit de créer les conditions économiques permettant au marché de
déterminer un prix attractif pour le consommateur et suffisant pour le créateur.

Tel est le rôle régulateur du législateur.

Oui, il était urgent d’agir. Et de légiférer.

Ce projet poursuit quatre objectifs principaux. Il mettra d’abord en place un
certain nombre d’exceptions nouvelles. Il régulera et protègera les mesures
techniques de protection, qui permettent aux titulaires de droits de mettre en
ligne en toute confiance leurs oeuvres dans le cadre de nouvelles offres.

Il
apportera, grâce aux amendements que le gouvernement a déposés, de
nouveaux dispositifs, permettant d’inciter les consommateurs et les éditeurs de
logiciels « pair-à-pair » à rentrer dans la légalité. Enfin, il réhabilite le statut
d’auteur des agents publics et apporte une amélioration au contrôle des statuts
des sociétés de perception et de répartition des droits par le ministère de la
culture et de la communication.

La directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de
l’information avait d’abord pour objet de créer une seule exception obligatoire,
visant à permettre les copies techniques nécessaires à la transmission des
oeuvres sur les réseaux de communication. Elle n’avait pas pour objet
d’harmoniser toutes les exceptions en Europe, puisque celles-ci n’étaient que
facultatives, mais d’harmoniser les contours des exceptions qui existaient déjà
dans les différents pays.

Le gouvernement a souhaité maintenir l’équilibre existant en droit français, sans
créer d’exceptions supplémentaires. Il a cependant voulu une mesure en faveur
des personnes handicapées, dont l’intégration et l’égalité des droits et des
chances sont une priorité du gouvernement et l’un des trois grands chantiers du
quinquennat. Une exception a ainsi été prévue, pour permettre à des
organismes agréés, comme des associations ou des bibliothèques, de produire
des transcriptions dans des formats adaptés comme le braille, ou même de
transmettre sur les réseaux des oeuvres numérisées, pour les rendre
accessibles sur des terminaux électroniques adaptés.

Le gouvernement a également souhaité moderniser le dépôt légal. Le dépôt
légal, c’est la conservation de notre mémoire collective, c’est un témoignage
pour les générations futures, mais c’est aussi une ressource extraordinaire pour
nos chercheurs et nos historiens.

Le projet de loi crée ainsi le dépôt légal de la Toile. Internet devient en effet un
espace majeur d’information et d’échange, mais ce patrimoine est mouvant et
éphémère. Le projet met donc en place une nouvelle forme de dépôt légal, qui
se fera sur Internet par la collecte des sites. De nombreuses expérimentations
ont déjà été menées par l’Institut national de l’Audiovisuel et la Bibliothèque
nationale de France, qui sont désormais prêts.

Ce projet modernise également le dépôt légal pour permettre la numérisation
des oeuvres déposées et leur consultation sur un réseau local. Cela permettra
d’alléger considérablement les tâches de manipulation et de faciliter l’accès des
chercheurs à ce patrimoine inestimable.

En ce qui concerne les mesures techniques de protection, il convient de
dissiper quelques malentendus pour éviter la caricature.

Ce projet ne crée pas les mesures techniques, qui existent notamment depuis
vingt ans sur les cassettes vidéo et depuis dix ans sur les DVD. Ces mesures
techniques ne sont pas des mesures de verrouillage des oeuvres et de la copie,
mais, en intégrant aujourd’hui des systèmes de gestion des droits, permettent
au contraire l’émergence de nouvelles offres et de nouveaux modèles
économiques.

Entre ceux qui souhaitent la disparition de la copie privée et ceux qui veulent la
dévoyer dans une copie sans limite, je veux maintenir un équilibre, pour
conserver une vraie copie privée et sa légitime contrepartie qu’est la
rémunération pour copie privée. Dans ce texte, la copie privée est préservée.

Elle est tout simplement adaptée à l’univers numérique qui permet de fabriquer
un très grand nombre d’originaux.

C’est la raison fondamentale pour laquelle le projet de loi instaure un collège de
médiateurs, autorité administrative indépendante spécialisée, chargée de
réguler les mesures techniques et de mesurer leur conformité avec les
exceptions légales. Cette régulation doit permettre à tous de continuer à
bénéficier de l’exception pour copie privée. Ce collège des médiateurs constitue
une garantie formidable pour les consommateurs, puisqu’il pourra être saisi par
eux ou leurs associations de tout litige concernant une mesure technique qui
serait excessivement confiscatoire du bénéfice de l’exception pour copie privée,
dont je rappelle qu’elle concerne le « cercle de famille ».

Afin d’éviter que certains spécialistes du piratage puissent contourner les
mesures techniques, le projet de loi crée une sanction contre le contournement,
qui ne vise pas les consommateurs de bonne foi. Surtout, il crée une sanction
contre la fourniture de moyens destinés à faciliter le contournement, afin
d’éviter la création de ce genre d’activités, qui créent des profits en incitant
leurs clients à enfreindre la loi.

Ces dispositions n’ont pas pour autant, et méfions-nous des amalgames, pour
objet de créer un dispositif d’agrément des logiciels de lecture ou de remettre
en cause les exceptions existantes, comme la décompilation, qui bénéficie
notamment au logiciel libre.

En ce qui concerne le logiciel libre, je veux apporter de la clarté là où d’autres
se complaisent dans les confusions et les raccourcis abusifs. Je tiens à ce que
le projet de loi permette d’éviter les monopoles indus. C’est pourquoi je vous
annonce que je vais, au nom du gouvernement, déposer notamment un
amendement permettant d’assurer le respect du droit de la concurrence de la
part des fournisseurs des mesures techniques de protection.

Le projet contient d’ailleurs une disposition particulièrement novatrice, destinée
à faciliter l’interopérabilité, en favorisant l’accès à des licences croisées,
permettant de rendre compatibles les plates-formes d’offre en ligne et les
lecteurs. Cette disposition va au delà des prescriptions de la directive
européenne. Elle permet d’éviter les cloisonnements de l’offre qui seraient un
non sens industriel. C’est un point fondamental pour les consommateurs que
nous sommes tous. Cette interopérabilité est indispensable au marché.

Ces mesures techniques sont également utiles pour limiter la contrefaçon « à la
source », mais elles ne sont cependant pas suffisantes. En effet, il se trouvera
toujours un spécialiste, ou une équipe, assez compétents pour contourner les
mesures techniques, obtenir un exemplaire non protégé de l’oeuvre et le
diffuser à grande vitesse sur les nouveaux réseaux à haut débit, notamment sur
des systèmes « pair-à-pair ». Et ces systèmes touchent de plus en plus le
grand public.

Il est donc indispensable de mettre en place des moyens d’action efficaces de
prévention à l’égard du grand public échangeant des oeuvres de façon illicite
sur des systèmes « pair-à-pair ». C’est l’objectif du mécanisme de réponse
graduée que le gouvernement a souhaité insérer dans ce projet de loi par
amendement. L’objectif premier de cet amendement est la prévention,
l’information, donc la responsabilité.

Il respecte pleinement les libertés individuelles et présente le maximum de
garanties au regard des droits de la défense des internautes. En effet, les
internautes recevront préalablement une mise en demeure, par courrier
électronique ou par lettre recommandée, qui devra les inciter à cesser les actes
de contrefaçon ou à éliminer les éventuels virus permettant à un fraudeur
d’utiliser leur matériel. Ce n’est que s’ils ne tiennent pas compte de ces mises
en demeure, qu’ils seront, après une procédure contradictoire écrite, passibles
d’une sanction financière dont le prononcé sera à l’appréciation du collège des
médiateurs.

Il est également nécessaire de préciser que les dispositifs de recherche
d’infractions resteront soumis à l’autorisation de la CNIL, qui veille à leur
proportionnalité pour éviter une surveillance trop large par rapport à la finalité
du traitement.

Ce dispositif permet ainsi de réaliser un équilibre entre la dépénalisation de la
contrefaçon numérique et la création de nouveaux mécanismes répressifs. En
effet, il préserve les capacités d’action en justice des titulaires de droit pour les
cas graves, tout en mettant un place un dispositif équilibré, donnant toute sa
place à une prévention personnalisée. Toutes les garanties quant à la
confidentialité des informations nominatives ont été prises à cet égard en liaison
étroite avec la chancellerie et la Commission nationale pour l’informatique et les
libertés.

Il doit être complété par une action en amont, notamment à l’égard des éditeurs
de logiciels d’échanges illicites d’oeuvres protégées.

Il s’agit d’abord de lutter contre l’incitation à la contrefaçon, car certains éditeurs
de ces logiciels, font bien souvent des profits en promettant l’accès gratuit à la
culture, et trompent leurs utilisateurs, qui risquent eux d’être la cible de
poursuites judiciaires. Cette incitation à la contrefaçon va également à
l’encontre de tous les efforts de sensibilisation réalisés par le gouvernement et
les professionnels.

Là encore, il faut éviter la caricature. En aucun cas il ne s’agit de condamner la
technologie « pair à pair », qui ouvre, je l’ai dit, des perspectives très
intéressantes pour la culture. Au contraire, il s’agit plutôt de favoriser
l’émergence d’offres légales utilisant cette technologie, comme cela commence
à être le cas outre-Atlantique.

Il faut aussi, bien sûr, responsabiliser les éditeurs de logiciels, lorsqu’il est
manifeste qu’ils sont massivement utilisés pour l’échange illicite d’oeuvres
protégées, pour qu’ils mettent en place les mesures utiles, conformes à l’état de
l’art, pour éviter ces usages illicites. Ces mesures pourront notamment être des
mesures d’identification des oeuvres concernées, mais il ne s’agit en aucun cas
pour la loi d’imposer une technologie particulière.

Ce projet de loi nous offre aussi l'occasion de transposer, également dans
l’urgence, une autre directive européenne touchant au droit d'auteur, la
directive relative au droit de suite. Nous avons en effet jusqu’au 31 décembre
2005 pour ce faire et vous savez ce qu’il en est de l’encombrement de l’ordre
du jour du Parlement.

Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs
héritiers lors de chacune des reventes successives de leurs oeuvres sur le
marché. En France, ce droit, qui existe depuis 1920, est de 3 % mais n'est,
dans les faits, appliqué qu'aux ventes publiques aux enchères.

Une majorité de pays de l'Union Européenne (dont l'Allemagne, l'Espagne ou la
Pologne) appliquent aussi un droit de suite. Parmi les exceptions, il y a celle
notable du Royaume-Uni, place largement dominante sur le marché de l'art
contemporain.

La directive européenne du 27 septembre 2001 harmonise le droit de suite et
les taux applicables à l'ensemble des pays de l'Union. C'est une bonne chose,
compte tenu de la concurrence que se livrent Paris et Londres sur le marché
européen. Cette directive permettra de ce point de vue à nos professionnels de
travailler dans des conditions de concurrence égales par rapport à Londres et
par rapport au reste du marché intérieur, quand la directive aura été mise en
oeuvre dans tous les Etats membres.

La directive instaure une dégressivité des taux applicables en fonction du
montant de la vente. En outre, et c’est très important, elle plafonne à 12 500
euros le droit susceptible d'être versé pour une oeuvre. Ces deux dispositions
devraient lever l’une des causes majeures de délocalisation des ventes vers les
places dépourvues de droit de suite, notamment New-York.

Je sais que les professionnels restent cependant inquiets des conséquences de
la transposition de cette directive.

C'est le cas des galeries, qui, de fait, ne se voyaient pas appliquer de droit de
suite jusqu'à présent, mais qui, depuis, plusieurs années, cotisent en
contrepartie au régime de sécurité sociale des artistes. C'est aussi le cas des
sociétés de ventes volontaires, qui, par application des taux prévus par la
directive européenne, vont voir le droit de suite augmenter de l'ordre d'un quart.

C’est pourquoi, comme l’a demandé le Premier ministre, le gouvernement fera
en sorte que le décret d’application qui sera pris en Conseil d’Etat permette une
transposition aussi proche que possible des conditions dont bénéficieront les
Britanniques.

Ainsi, le futur décret, devra fixer les conditions dans lesquelles les galeries
françaises pourront bénéficier du même délai d'adaptation que les galeries
britanniques. En effet, les Etats membres qui n'appliquaient pas le droit de suite
ont obtenu de pouvoir, par dérogation, dispenser les ventes d'oeuvres d'artistes
décédés de tout droit de suite jusqu'en 2010, voire 2012. C'est l'option que
semble devoir prendre le Royaume-Uni. Or, je l'ai rappelé, la France applique
un droit de suite depuis 1920, mais pas aux ventes des galeries. Le risque est
donc de créer artificiellement pendant 4 à 6 ans une dégradation des termes de
la concurrence au détriment des galeries françaises, vis-à-vis de leurs
homologues, notamment britanniques. Le gouvernement sera donc vigilant sur
ce point.

Le même décret fixera le seuil de prix de vente à partir duquel les ventes sont
soumises au droit de suite, seuil que les représentants des artistes souhaitent
aussi proche que possible du seuil actuel, très bas (15 euros), et que les
professionnels souhaitent aussi proche que possible du maximum prévu par la
directive (3000 euros). Mon intention est de fixer ce seuil à 1000 euros, afin de
mettre la France au même niveau que nos plus proches concurrents, la
Belgique et le Royaume-Uni. Le relèvement de ce seuil à 1000 euros aura pour
effet d’alléger considérablement les formalités administratives qui pèsent
actuellement sur les galeries et les sociétés de vente. Je souhaite ainsi que le
temps gagné pour les intermédiaires du marché compense l’accroissement du
droit de suite qu’entraîne la directive. Je souhaite également que ce seuil plus
élevé permette de ne pas dissuader les intermédiaires de vendre des oeuvres
dont le coût unitaire est limité. De fait, le temps passé sur les formalités
nécessaires au droit de suite coûte parfois plus cher que le montant du droit de
suite lui-même ! Cela nuit, à l’évidence, à la fluidité du marché et aux intérêts
des artistes comme des professionnels.

Permettez-moi enfin d’attirer votre attention sur un rendez-vous important. La
directive prévoit que la Commission européenne présentera avant le 1er janvier
2009, un rapport sur l'application et les effets de la directive, notamment du
point de vue de la compétitivité du marché européen. Ce rendez-vous sera
l'occasion de se ré-interroger sur l'opportunité en termes économiques de ce
droit qui est et reste, je tiens à la rappeler, un droit d'auteur.

C’est parce que le droit de suite est un droit d’auteur que la France a été à
l’origine de cette directive. Et c’est parce que la France est attachée au droit
d’auteur que le Gouvernement sera attentif à ce que tous les Etats membres
transposent cette directive dans les délais convenus.

Je tiens enfin à rendre hommage au travail remarquable de votre commission,
tant sur le droit d’auteur et les droits voisins que sur le droit de suite, pour lequel
elle a dû travailler en extrême urgence.

Dans l’ensemble, ce projet de loi n’a d’autre objectif que de concilier la
pérennité de la création et l’accès le plus large à la culture, qui est à la fois l’un
des grand acquis et l’un des grands défis de notre temps. Il nous revient de
faire en sorte que dans notre société numérique, les technologies faites pour le
progrès des hommes permettent aussi d’assurer le développement durable et la
diversité des oeuvres de l’esprit, qui sont aussi essentielles à son avenir que
ceux de son environnement naturel. C’est là l’une des missions les plus nobles
du législateur. Puissiez-vous faire en sorte que, comme l’a déclaré récemment
l’historien Roger Chartier, le droit d’auteur ne soit pas qu’une parenthèse dans notre histoire. Tel sera, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les
Députés, le sens ultime de votre vote sur le projet de loi que je vous soumets.

projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information

20 décembre 2005

Il s’agit de créer les conditions économiques permettant au marché de déterminer un prix attractif pour le consommateur et suffisant pour le créateur. Tel est le rôle régulateur du législateur… Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,

Notre rendez-vous d’aujourd’hui, nous le savons tous, est très attendu. Oui, je n’hésite pas à le dire : ce débat est un débat historique. Lorsque nous l’aurons
mené à son terme, une dynamique positive, et je l’espère, une vraie réconciliation, en faveur de l’accès à la connaissance, de la création, et du rayonnement des oeuvres sera pour longtemps lancée. Internet est un espace de liberté : ce texte préserve cette liberté et il rend possible une offre nouvelle de diffusion des oeuvres artistiques et des idées.

Ce texte garantit autant les droits des consommateurs et des internautes que les droits des créateurs. Il tourne le dos aussi bien au manichéisme, à l’obscurantisme qu’à la démagogie facile. Parce qu’entre la jungle, et la dérégulation ultra-libérale, et la geôle, comme seul vecteur de prise de conscience et de responsabilité, entre l’anarchie et la tyrannie, entre l’univers virtuel sans entraves et les contraintes des procédures, nous aurons ouvert une troisième voie, observée et attendue comme telle par nos partenaires de l’Union européenne.

Oui, il y a un espace intelligent et humaniste entre l’anarchie et la tyrannie, entre l’univers virtuel sans entraves et les contraintes et les procédures. C’est le cas lorsque la liberté de soi va de pair avec le respect de l’autre. C’est le cas de l’espace que je vous invite à ouvrir avec ce texte.

Trois valeurs inspirent ce texte. La première d’entre elles est l’accès du plus grand nombre à la culture. Dans un monde qui devient numérique, le consommateur doit pouvoir accéder librement à une offre riche et diversifiée, il doit pouvoir continuer à faire des copies à titre privé, et l’existence de la copie privée sera garantie par ce texte, ce sera la mission d’une nouvelle autorité administrative indépendante, le Collège des médiateurs. Il ne s’agit pas de verrouiller, ni de cadenasser, mais de créer les conditions pour que le consommateur puisse profiter de sa liberté sur Internet pour accéder à une offre culturelle riche et diversifiée.
Car la deuxième valeur fondamentale, c’est la diversité culturelle. Une valeur de tous les temps, qui a franchi un nouveau cap en entrant dans le droit
international le 20 octobre dernier, avec l’adoption, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la convention de l’Unesco. Mais qui suppose
d’être concrètement garantie pour n’être pas un leurre.
Troisièmement le droit d’auteur est un droit fondé sur une valeur qui demeure plus que jamais actuelle dans une société qui doit affronter les défis del’avenir : celle de la création. La création qui s’enrichit et se nourrit sans cesse de nouvelles oeuvres, qui rencontre de nouveaux publics, grâce à la démocratisation de la culture qui est sans doute l’un des plus grands acquis du dernier demi-siècle, grâce à l’essor des industries culturelles. L’avènement de la société de l’information et de l’ère numérique a accentué cette évolution, qui est d’autant plus positive, que la vitalité et la liberté des créations de l’esprit sont protégées, dans toute leur diversité.

Le projet de loi que je soumets aujourd’hui au nom du gouvernement à la Représentation nationale, relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, est issu d’un long cheminement. Ce texte s’enracine dans une longue histoire qui, de l’âge classique jusqu’à la Révolution, est une véritable conquête. La conquête progressive, à travers les siècles, d’un droit qui est d’abord une liberté, l’affranchissement d’une tutelle tantôt bienveillante, tantôt pesante, qui plaçait les auteurs à la merci des puissants, auxquels ils devaient attacher leur subsistance et l’exercice de leurs talents, s’ils étaient eux-mêmes dépourvus de fortune. Ainsi Scarron implorait le roi :
« De toutes vos vertus, si Votre Majesté
M’en voulait donner une
Celle que je requiers, Sire, c’est Charité,
Qui vous est si commune ;
Elle croîtrait en vous en s’étendant sur moi,
Car telle est sa nature.
Faîtes en donc l’épreuve, ô magnanime roi,
Sur votre créature… »

Et La Fontaine, à soixante-treize ans, dédie ainsi au jeune Duc de Bourgogne, douze ans, le dernier livre de ses fables : « Il faut que je me contente de travailler sous vos ordres. L’envie de vous plaire me tiendra lieu d’une imagination que les ans ont affaiblie. »

C’est une véritable émancipation, née de l’esprit des Lumières, du combat de Beaumarchais, de la fougue du romantisme, faite de reculs et d’avancées successives. C’est la faillite de Balzac, narrée dans Les Illusions perdues, face à l’introduction des nouvelles technologies de l’époque dans l’imprimerie, qui entraînera l’avènement d’une nouvelle économie du livre et de la presse au XIXe siècle. C’est l’énergie de Hugo, dénonçant devant un congrès qui ouvre la voie à la reconnaissance internationale du droit d’auteur ce « sophisme singulier, qui serait puéril sil nétait perfide : la pensée appartient à tous, donc elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire nexiste pas. » Oui, les soubassements de l’édifice législatif, dont le rapport de votre commission des lois décrit si clairement la genèse, sont profonds.

Pourquoi y a-t-il urgence à légiférer ? Vous rappelez dans votre excellent rapport, Monsieur le Rapporteur, que l’urgence est d’abord juridique. En effet, ce texte a pour origine une directive européenne, dont vous rappelez la longue élaboration, entre 1997 et 2001, et qui aurait dû être transposée avant le 22
décembre 2002. La France n’est pas la seule à ne pas l’avoir fait, mais il était rand temps qu’elle le fasse. Il ne vous a pas échappé que le projet de loi a été
déposé sur le bureau de votre Assemblée par mon prédécesseur. En cette matière comme en d’autres, je me suis attaché à tenir les engagements de la
France et surtout à appliquer une méthode : la concertation et le dialogue. Ce texte a été soumis à la concertation au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, qui l’a longuement et mûrement examiné. J’ai écouté et entendu les professionnels, qui souhaitent saisir les chances, mais redoutent les menaces, liées aux nouvelles technologies numériques, et veulent en conséquence faire respecter les règles nécessaires au code de la route sur les nouvelles autoroutes de l’accès aux oeuvres, aux savoirs, aux produits culturels. J’ai écouté et entendu les auteurs attachés au respect de leurs droits. J’ai écouté et entendu nos concitoyens de toutes les générations, internautes, consommateurs et amateurs des formidables libertés et des découvertes nouvelles offertes par l’Internet. Mais liberté ne veut pas dire gratuité. C’est pourquoi l’urgence de ce texte est aussi culturelle et politique, et il était nécessaire que la Représentation nationale en soit saisie.

Dès mon arrivée rue de Valois, j’ai présenté, au Conseil des ministres du 19 mai 2004, un plan d’action, avec trois lignes directrices principales.

Tout d’abord, développer une approche globale pour répondre à ce défi, parce qu’il n’existe malheureusement pas de solution miracle et unique.

Ensuite, créer un équilibre, notamment entre le développement d’un maximum de nouvelles offres légales attractives pour développer l’accès à la culture, et la lutte contre la contrefaçon numérique.

Enfin, ouvrir le dialogue et engager la concertation, décloisonner le monde de la culture et l’univers des nouvelles technologies, les créateurs, les industriels et
les consommateurs.

Après le vote de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, il était urgent de renouer les fils du dialogue, de sortir de la caricature, du cliché, de l’anathème, de l’excommunication. J’ai tenu à engager aussitôt une concertation entre les industries culturelles et les fournisseurs d’accès à
Internet, qui ont été réunis le 15 juillet 2004.

Ce dialogue a abouti à la signature d’une charte « musique et Internet » le 28 juillet 2004 à l’Olympia, pour sensibiliser les internautes, notamment les jeunes,
mettre en place des messages de prévention et développer une offre légale et attractive de musique en ligne.

Parce que l’éducation joue évidemment un rôle primordial, le gouvernement a tenu à sensibiliser en particulier les collégiens à la « civilité de l’Internet », et confié au Forum des droits sur l’Internet la réalisation d’un guide pédagogique sur le téléchargement.

François Loos et moi-même allons lancer au mois de janvier prochain une campagne de prévention, afin de sensibiliser les citoyens aux dommages liés à la contrefaçon numérique.

Les fournisseurs d’accès à Internet ont, depuis la signature de cette charte, et pour répondre également à la demande faite par votre Assemblée lors du vote de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, largement moralisé leur publicité et développé la sensibilisation de leurs abonnés, avec l’appui de la filière musicale, qui a préparé plusieurs vidéos de sensibilisation.

En ce qui concerne l’offre légale, les producteurs de disque se sont engagés dans une vigoureuse action de numérisation de leurs catalogues. Le gouvernement a mis en place un baromètre de l’offre musicale en ligne, au sein de l’observatoire de la musique, qui publie régulièrement les chiffres de la disponibilité des titres de musique sur les plates-formes en ligne. Ce baromètre a ainsi montré que l’offre « française », y compris les catalogues internationaux habituellement distribués en France, était passée de 300 000 titres fin 2004, à plus de 700 000 titres en juin 2005.

Une campagne de promotion du téléchargement légal a été lancée avec le concours de 14 artistes en janvier 2005, avec le soutien du ministère, pour dire
que la musique est disponible sur des sites et des portails qui respectent les droits des créateurs et des producteurs.

Le gouvernement a, dans le cadre des orientations de la charte, confié à Antoine Brugidou et Gilles Kahn une mission d’expertise des technologies de filtrage, afin d’aboutir à une offre volontaire d’outils de protection contre la contrefaçon, proposée aux abonnés à Internet. Leur rapport, remis le 10 mars, recommande d’expérimenter des outils de protection sur le poste de l’abonné, ainsi que des outils d’observation. Les partenaires travaillent en ce sens.

Parallèlement à ce dialogue entre les professionnels de la musique et de l’Internet, j’ai moi-même engagé le dialogue entre les professionnels du cinéma, de la télévision et de l’Internet. La concertation que j’ai menée a abouti cet après-midi à la signature d’un accord sur le cinéma à la demande. Cet accord est capital car il permettra à l’offre légale en matière de cinéma de se développer, sans déstabiliser la filière cinématographique.

Ce dialogue avait aussi pour objectif de proposer une alternative aux poursuites judiciaires, et a débouché sur une proposition d’architecture pour une réponse
graduée, dont vous soulignez très justement la nécessité dans votre rapport, Monsieur le Rapporteur : l’idée est de commencer par envoyer des messages
d’avertissement, avant de prononcer une sanction adaptée.

Enfin, j’ai souhaité également que s’engage un dialogue entre les titulaires de droits et le ministère de l’éducation nationale, afin d’autoriser certains usages pédagogiques des oeuvres protégées. J’ai ainsi signé, dès le 14 janvier 2005, une déclaration commune avec le ministre de l’éducation nationale. Cette
déclaration a permis les négociations qui sont en train d’aboutir entre l’Education Nationale et les ayants droit de la musique, du livre, de la presse écrite, des arts plastiques et de l’audiovisuel, afin de permettre un accès à la connaissance, y compris par des modes numériques, sans léser excessivement les détenteurs de droits.

En ce qui concerne les bibliothèques, une mission de concertation entre les bibliothécaires et les éditeurs a été confiée à François Stasse, qui a remis son rapport en juin dernier, formulant plusieurs propositions dont certaines très innovantes. Sur ces bases, le ministère a engagé une concertation qui doit se poursuivre.

L’ensemble de ces actions poursuit un seul but : développer le maximum de nouvelles offres et de nouveaux usages, dans un cadre respectueux des droits
des créateurs. Il s’agit bien ici de réhabiliter la démarche contractuelle, et de faire du droit d’auteur un droit qui autorise, qui permet, qui ouvre des possibilités nouvelles, plus qu’il n’interdit. Néanmoins, il est nécessaire de mettre en place aujourd’hui un cadre juridique propice à l’émergence de ces nouvelles offres, et d’orienter vers elles les consommateurs. C’est l’objet principal de ce projet de loi.

Il ne faut pas envisager le droit d’auteur seulement sous son angle technique, celui d’un cadre juridique complexe, du code de la propriété intellectuelle et d’une jurisprudence importante. Il s’agit d’une réglementation qui régit et accompagne aujourd’hui notre vie quotidienne, la vie de tous ceux qui lisent, surfent sur Internet, écoutent la radio, regardent la télévision, et goûtent chaque jour aux produits de la consommation culturelle. Nombreux sont nos concitoyens qui s’interrogent aujourd’hui, je le sais, sur ce qu’ils ont le droit de faire, nombreux sont ceux qui succombent aux sirènes qui leur promettent un accès illimité à la culture gratuite. Notre débat aura donc une grande valeur pédagogique, il tâchera de faire justice de la démagogie, du leurre de la gratuité et des fausses bonnes idées, de déjouer les craintes infondées et de construire des réponses adaptées à l’évolution rapide des techniques. Car l’urgence est aussi technologique. Et cette accélération doit continuer à permettre aux créateurs de vivre de leur propre travail. Chacun peut comprendre que le travail des créateurs doit être rémunéré et ne peut pas être durablement gratuit, et qu’il est juste que ceux qui bénéficient de ce travail le rémunèrent. La gratuité totale de la culture sur Internet est un leurre, parce que la rémunération des créateurs est non seulement légitime, mais aussi nécessaire pour préserver le renouvellement de la création et la diversité culturelle. Ne pas rémunérer la création ou la rémunérer forfaitairement c’est l’assécher, c’est favoriser la concentration, en décourageant la prise de risque.

Il est en effet un leurre : celui du sentiment de l’accessibilité infinie au marché mondial. C’est un rêve. Qu’on ne se méprenne pas ! Nul doute qu’Internet peut
être une chance formidable, en particulier pour les jeunes talents. Encore faut-il ne pas y être noyé mais repéré, détecté, reconnu. Le risque de concentration
autour de quelques artistes reconnus et de quelques oeuvres reste réel et peut même s’amplifier. Une juste distinction doit s’opérer entre la promotion et la
découverte librement consenties des talents et le pillage subi de leurs oeuvres.

Qu’on ne s’y trompe pas d’ailleurs. Internet ne détournera pas le public de la magie du spectacle vivant, du livre, du cinéma en salle. Il peut, il doit mieux le
faire connaître à tous les publics et, en particulier, aux plus jeunes de nos concitoyens. Cela passe aussi à l’évidence par l’amplification des actions d’éducation à l’image.

La perspective d’une diffusion immédiatement mondiale crée parfois de faux espoirs, voire des illusions dangereuses. Le rêve pour un jeune artiste est évidemment la rencontre avec le public, avec son public.

L’urgence est donc aussi économique. C’est le modèle économique de la création qui est en jeu. C’est la prise de risque et l’investissement, tant financier que personnel, sans lequel il n’y pas de création, c’est-à-dire pas de diversité culturelle et pas d’emplois dans ce secteur qui est un vivier d’activités.L’urgence est donc aussi sociale.

Pour répondre à ces urgences, le texte que je vous présente aujourd’hui est un texte d’équilibre. La propriété littéraire et artistique ne couvre pas les idées, mais leur expression, elle n’a qu’une durée limitée dans le temps et peut faire l’objet d’exceptions, notamment pour l’usage privé qui reste garanti.

Car la révolution numérique ouvre des perspectives extraordinaires de développement de nouvelles pratiques, de nouveaux chemins d’accès à la culture. L’innovation dans ce domaine est permanente et les nouvelles offres foisonnent. Je pense à la télévision numérique terrestre, entrée dans un million de foyers, au câble numérique, à l’ADSL (Ligne d’abonné numérique à débit (asymétrique), aux nouveaux services audiovisuels, aux premières expérimentations de vidéo à la demande.

Je pense aussi à l’accélération, voulue et mise en oeuvre par le gouvernement, de la couverture de l’Internet à haut débit. Il est clair que le développement de
la mobilité, dans tous les domaines, crée des chances nouvelles d’accès à la culture pour tous, bien au-delà des « usines de rêve » qu’imaginait Malraux lorsqu’il créa le ministère de la culture.

Je pense enfin au développement de nouvelles offres de téléchargement de musique, qui ont explosé à partir de l’été 2004. Ce sont ainsi plus d’une vingtaine de plates-formes légales qui sont désormais accessibles, offrant au public un catalogue allant de 700 000 à plus d’un million et demi de titres, dans des conditions attractives, puisque le prix d’un titre est fixé à 0,99 euro contre 4,1 euros en moyenne pour un « single » deux titres, et à 9,99 euros contre 13,6 en moyenne pour un album. Ces offres rencontrent un véritable succès, puisque le nombre de téléchargements a augmenté de 260%, entre le premier semestre 2004 et 2005, sur les quatre principaux marchés mondiaux.

Des offres innovantes se développent, de nouveaux modèles économiques se créent. Ces offres nouvelles ne cessent de s’enrichir et de se diversifier. De
nouvelles plateformes pour le cinéma et l’audiovisuel se mettent actuellement en place. Sur ces sujets je veux récuser toute idée de forfaitisation de la rémunération des créateurs. Il s’agit, vous l’aurez compris, je pense, de la licence légale. C’est une fausse bonne idée. Elle consiste pour le consommateur à renchérir, quelle que soit sa consommation effective, le coût de son abonnement. Elle appauvrit le créateur à son corps défendant, en le rémunérant sans tenir compte de l’exploitation et du succès de son oeuvre.

Si certains distributeurs veulent créer des offres forfaitaires, c’est à eux d’assumer les risques de cette forfaitisation et en aucun cas aux créateurs, comme vous en avez d’ailleurs et justement décidé en 2001, à propos des formules d’accès au cinéma permettant des entrées multiples.

J’ai souhaité avec mon collègue chargé du travail que s’engage un dialogue entre les artistes interprètes et les éditeurs de phonogrammes, afin que la rémunération des oeuvres et de toutes leurs utilisations puissent être garanties par un accord collectif.

L’émergence des nouvelles offres légales, dans un contexte régulé, est au coeur de notre projet de loi.

Ce texte a pour objet d’apporter des réponses à ce paradoxe : jamais l’accès à la culture n’aura été aussi facile et aussi large ; jamais la création n’aura été
aussi menacée. C’est-à-dire, non seulement nos capacités de rêver et d’inventer des espaces imaginaires en interrogeant le réel, mais aussi nos emplois, notre rayonnement, le message que nous adressons au monde, notre attitude collective face à l’avenir.

La grande différence entre l’univers analogique et l’univers numérique, c’est qu’il est possible de fabriquer un très grand nombre d’ « originaux ». Il fallait
trouver les réponses adéquates, permettant de préserver l’exception pour copie privée, sans alimenter pour autant la contrefaçon, qui n’est rien d’autre, tout
simplement, que du vol.

L’efficacité des nouveaux systèmes d’échanges de fichiers est formidable. Quand ils sont les vecteurs de la contrefaçon, elle est redoutable. Utilisant généralement les technologies « pair-à-pair », elles permettent d’accéder à de nombreuses oeuvres, dans une qualité souvent identique à l’original. L’illusion
de la gratuité conduit désormais une partie des consommateurs à considérer que toute offre payante est trop chère, et oblige les industries culturelles à
s’engager dans une spirale de baisse des prix, qui leur permet de limiter la baisse des ventes en volume, au prix de la baisse de leur chiffre d’affaires,
c’est-à-dire, in fine, des ressources dont elles disposent pour investir dans la création et les nouveaux talents. Un cercle vicieux pourrait s’engager, ce
manque de création nouvelle, risquant d’entraîner une désaffection du public.

Il s’agit de créer les conditions économiques permettant au marché de déterminer un prix attractif pour le consommateur et suffisant pour le créateur. Tel est le rôle régulateur du législateur.

Oui, il était urgent d’agir. Et de légiférer.

Ce projet poursuit quatre objectifs principaux. Il mettra d’abord en place un certain nombre d’exceptions nouvelles. Il régulera et protègera les mesures techniques de protection, qui permettent aux titulaires de droits de mettre en ligne en toute confiance leurs oeuvres dans le cadre de nouvelles offres. Il apportera, grâce aux amendements que le gouvernement a déposés, de nouveaux dispositifs, permettant d’inciter les consommateurs et les éditeurs de logiciels « pair-à-pair » à rentrer dans la légalité. Enfin, il réhabilite le statut d’auteur des agents publics et apporte une amélioration au contrôle des statuts des sociétés de perception et de répartition des droits par le ministère de la culture et de la communication.

La directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information avait d’abord pour objet de créer une seule exception obligatoire, visant à permettre les copies techniques nécessaires à la transmission des oeuvres sur les réseaux de communication. Elle n’avait pas pour objet d’harmoniser toutes les exceptions en Europe, puisque celles-ci n’étaient que facultatives, mais d’harmoniser les contours des exceptions qui existaient déjà dans les différents pays.

Le gouvernement a souhaité maintenir l’équilibre existant en droit français, sans créer d’exceptions supplémentaires. Il a cependant voulu une mesure en faveur
des personnes handicapées, dont l’intégration et l’égalité des droits et des chances sont une priorité du gouvernement et l’un des trois grands chantiers du
quinquennat. Une exception a ainsi été prévue, pour permettre à des organismes agréés, comme des associations ou des bibliothèques, de produire des transcriptions dans des formats adaptés comme le braille, ou même de transmettre sur les réseaux des oeuvres numérisées, pour les rendre accessibles sur des terminaux électroniques adaptés.

Le gouvernement a également souhaité moderniser le dépôt légal. Le dépôt légal, c’est la conservation de notre mémoire collective, c’est un témoignage pour les générations futures, mais c’est aussi une ressource extraordinaire pour nos chercheurs et nos historiens.

Le projet de loi crée ainsi le dépôt légal de la Toile. Internet devient en effet un espace majeur d’information et d’échange, mais ce patrimoine est mouvant et
éphémère. Le projet met donc en place une nouvelle forme de dépôt légal, qui se fera sur Internet par la collecte des sites. De nombreuses expérimentations
ont déjà été menées par l’Institut national de l’Audiovisuel et la Bibliothèque nationale de France, qui sont désormais prêts.

Ce projet modernise également le dépôt légal pour permettre la numérisation des oeuvres déposées et leur consultation sur un réseau local. Cela permettra
d’alléger considérablement les tâches de manipulation et de faciliter l’accès des chercheurs à ce patrimoine inestimable.

En ce qui concerne les mesures techniques de protection, il convient de dissiper quelques malentendus pour éviter la caricature.

Ce projet ne crée pas les mesures techniques, qui existent notamment depuis vingt ans sur les cassettes vidéo et depuis dix ans sur les DVD. Ces mesures
techniques ne sont pas des mesures de verrouillage des oeuvres et de la copie, mais, en intégrant aujourd’hui des systèmes de gestion des droits, permettent
au contraire l’émergence de nouvelles offres et de nouveaux modèles économiques.

Entre ceux qui souhaitent la disparition de la copie privée et ceux qui veulent la dévoyer dans une copie sans limite, je veux maintenir un équilibre, pour
conserver une vraie copie privée et sa légitime contrepartie qu’est la rémunération pour copie privée. Dans ce texte, la copie privée est préservée. Elle est tout simplement adaptée à l’univers numérique qui permet de fabriquer un très grand nombre d’originaux.

C’est la raison fondamentale pour laquelle le projet de loi instaure un collège de médiateurs, autorité administrative indépendante spécialisée, chargée de
réguler les mesures techniques et de mesurer leur conformité avec les exceptions légales. Cette régulation doit permettre à tous de continuer à bénéficier de l’exception pour copie privée. Ce collège des médiateurs constitue une garantie formidable pour les consommateurs, puisqu’il pourra être saisi par
eux ou leurs associations de tout litige concernant une mesure technique qui serait excessivement confiscatoire du bénéfice de l’exception pour copie privée,
dont je rappelle qu’elle concerne le « cercle de famille ».

Afin d’éviter que certains spécialistes du piratage puissent contourner les mesures techniques, le projet de loi crée une sanction contre le contournement,
qui ne vise pas les consommateurs de bonne foi. Surtout, il crée une sanction contre la fourniture de moyens destinés à faciliter le contournement, afin
d’éviter la création de ce genre d’activités, qui créent des profits en incitant leurs clients à enfreindre la loi.

Ces dispositions n’ont pas pour autant, et méfions-nous des amalgames, pour objet de créer un dispositif d’agrément des logiciels de lecture ou de remettre
en cause les exceptions existantes, comme la décompilation, qui bénéficie notamment au logiciel libre.

En ce qui concerne le logiciel libre, je veux apporter de la clarté là où d’autres se complaisent dans les confusions et les raccourcis abusifs. Je tiens à ce que
le projet de loi permette d’éviter les monopoles indus. C’est pourquoi je vous annonce que je vais, au nom du gouvernement, déposer notamment un amendement permettant d’assurer le respect du droit de la concurrence de la part des fournisseurs des mesures techniques de protection.

Le projet contient d’ailleurs une disposition particulièrement novatrice, destinée à faciliter l’interopérabilité, en favorisant l’accès à des licences croisées,
permettant de rendre compatibles les plates-formes d’offre en ligne et les lecteurs. Cette disposition va au delà des prescriptions de la directive européenne. Elle permet d’éviter les cloisonnements de l’offre qui seraient un non sens industriel. C’est un point fondamental pour les consommateurs que nous sommes tous. Cette interopérabilité est indispensable au marché.

Ces mesures techniques sont également utiles pour limiter la contrefaçon « à la source », mais elles ne sont cependant pas suffisantes. En effet, il se trouvera
toujours un spécialiste, ou une équipe, assez compétents pour contourner les mesures techniques, obtenir un exemplaire non protégé de l’oeuvre et le
diffuser à grande vitesse sur les nouveaux réseaux à haut débit, notamment sur des systèmes « pair-à-pair ». Et ces systèmes touchent de plus en plus le
grand public.

Il est donc indispensable de mettre en place des moyens d’action efficaces de prévention à l’égard du grand public échangeant des oeuvres de façon illicite
sur des systèmes « pair-à-pair ». C’est l’objectif du mécanisme de réponse graduée que le gouvernement a souhaité insérer dans ce projet de loi par amendement. L’objectif premier de cet amendement est la prévention, l’information, donc la responsabilité.

Il respecte pleinement les libertés individuelles et présente le maximum de garanties au regard des droits de la défense des internautes. En effet, les internautes recevront préalablement une mise en demeure, par courrier électronique ou par lettre recommandée, qui devra les inciter à cesser les actes de contrefaçon ou à éliminer les éventuels virus permettant à un fraudeur d’utiliser leur matériel. Ce n’est que s’ils ne tiennent pas compte de ces mises en demeure, qu’ils seront, après une procédure contradictoire écrite, passibles d’une sanction financière dont le prononcé sera à l’appréciation du collège des médiateurs.

Il est également nécessaire de préciser que les dispositifs de recherche d’infractions resteront soumis à l’autorisation de la CNIL, qui veille à leur proportionnalité pour éviter une surveillance trop large par rapport à la finalité du traitement.

Ce dispositif permet ainsi de réaliser un équilibre entre la dépénalisation de la contrefaçon numérique et la création de nouveaux mécanismes répressifs. En
effet, il préserve les capacités d’action en justice des titulaires de droit pour les cas graves, tout en mettant un place un dispositif équilibré, donnant toute sa
place à une prévention personnalisée. Toutes les garanties quant à la confidentialité des informations nominatives ont été prises à cet égard en liaison étroite avec la chancellerie et la Commission nationale pour l’informatique et les libertés.

Il doit être complété par une action en amont, notamment à l’égard des éditeurs de logiciels d’échanges illicites d’oeuvres protégées.

Il s’agit d’abord de lutter contre l’incitation à la contrefaçon, car certains éditeurs de ces logiciels, font bien souvent des profits en promettant l’accès gratuit à la
culture, et trompent leurs utilisateurs, qui risquent eux d’être la cible de poursuites judiciaires. Cette incitation à la contrefaçon va également à l’encontre de tous les efforts de sensibilisation réalisés par le gouvernement et les professionnels.

Là encore, il faut éviter la caricature. En aucun cas il ne s’agit de condamner la technologie « pair à pair », qui ouvre, je l’ai dit, des perspectives très intéressantes pour la culture. Au contraire, il s’agit plutôt de favoriser l’émergence d’offres légales utilisant cette technologie, comme cela commence à être le cas outre-Atlantique.

Il faut aussi, bien sûr, responsabiliser les éditeurs de logiciels, lorsqu’il est manifeste qu’ils sont massivement utilisés pour l’échange illicite d’oeuvres protégées, pour qu’ils mettent en place les mesures utiles, conformes à l’état de l’art, pour éviter ces usages illicites. Ces mesures pourront notamment être des
mesures d’identification des oeuvres concernées, mais il ne s’agit en aucun cas pour la loi d’imposer une technologie particulière.

Ce projet de loi nous offre aussi loccasion de transposer, également dans l’urgence, une autre directive européenne touchant au droit dauteur, la directive relative au droit de suite. Nous avons en effet jusqu’au 31 décembre 2005 pour ce faire et vous savez ce qu’il en est de l’encombrement de l’ordre du jour du Parlement.

Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs héritiers lors de chacune des reventes successives de leurs oeuvres sur le marché. En France, ce droit, qui existe depuis 1920, est de 3 % mais nest, dans les faits, appliqué quaux ventes publiques aux enchères.

Une majorité de pays de lUnion Européenne (dont lAllemagne, lEspagne ou la Pologne) appliquent aussi un droit de suite. Parmi les exceptions, il y a celle
notable du Royaume-Uni, place largement dominante sur le marché de lart contemporain.

La directive européenne du 27 septembre 2001 harmonise le droit de suite et les taux applicables à lensemble des pays de lUnion. Cest une bonne chose,
compte tenu de la concurrence que se livrent Paris et Londres sur le marché européen. Cette directive permettra de ce point de vue à nos professionnels de
travailler dans des conditions de concurrence égales par rapport à Londres et par rapport au reste du marché intérieur, quand la directive aura été mise en
oeuvre dans tous les Etats membres.

La directive instaure une dégressivité des taux applicables en fonction du montant de la vente. En outre, et c’est très important, elle plafonne à 12 500 euros le droit susceptible dêtre versé pour une oeuvre. Ces deux dispositions devraient lever l’une des causes majeures de délocalisation des ventes vers les places dépourvues de droit de suite, notamment New-York.

 Je sais que les professionnels restent cependant inquiets des conséquences de la transposition de cette directive.

Cest le cas des galeries, qui, de fait, ne se voyaient pas appliquer de droit de suite jusquà présent, mais qui, depuis, plusieurs années, cotisent en contrepartie au régime de sécurité sociale des artistes. Cest aussi le cas des sociétés de ventes volontaires, qui, par application des taux prévus par la directive européenne, vont voir le droit de suite augmenter de lordre dun quart.

C’est pourquoi, comme l’a demandé le Premier ministre, le gouvernement fera en sorte que le décret d’application qui sera pris en Conseil d’Etat permette une
transposition aussi proche que possible des conditions dont bénéficieront les Britanniques.

Ainsi, le futur décret, devra fixer les conditions dans lesquelles les galeries françaises pourront bénéficier du même délai dadaptation que les galeries britanniques. En effet, les Etats membres qui nappliquaient pas le droit de suite ont obtenu de pouvoir, par dérogation, dispenser les ventes doeuvres dartistes
décédés de tout droit de suite jusquen 2010, voire 2012. Cest loption que semble devoir prendre le Royaume-Uni. Or, je lai rappelé, la France applique
un droit de suite depuis 1920, mais pas aux ventes des galeries. Le risque est donc de créer artificiellement pendant 4 à 6 ans une dégradation des termes de
la concurrence au détriment des galeries françaises, vis-à-vis de leurs homologues, notamment britanniques. Le gouvernement sera donc vigilant sur ce point.

Le même décret fixera le seuil de prix de vente à partir duquel les ventes sont soumises au droit de suite, seuil que les représentants des artistes souhaitent aussi proche que possible du seuil actuel, très bas (15 euros), et que les professionnels souhaitent aussi proche que possible du maximum prévu par la directive (3000 euros). Mon intention est de fixer ce seuil à 1000 euros, afin de mettre la France au même niveau que nos plus proches concurrents, la Belgique et le Royaume-Uni. Le relèvement de ce seuil à 1000 euros aura pour effet d’alléger considérablement les formalités administratives qui pèsent actuellement sur les galeries et les sociétés de vente. Je souhaite ainsi que le temps gagné pour les intermédiaires du marché compense l’accroissement du droit de suite qu’entraîne la directive. Je souhaite également que ce seuil plus élevé permette de ne pas dissuader les intermédiaires de vendre des oeuvres dont le coût unitaire est limité. De fait, le temps passé sur les formalités nécessaires au droit de suite coûte parfois plus cher que le montant du droit de suite lui-même ! Cela nuit, à l’évidence, à la fluidité du marché et aux intérêts des artistes comme des professionnels.

Permettez-moi enfin d’attirer votre attention sur un rendez-vous important. La directive prévoit que la Commission européenne présentera avant le 1er janvier
2009, un rapport sur lapplication et les effets de la directive, notamment du point de vue de la compétitivité du marché européen. Ce rendez-vous sera loccasion de se ré-interroger sur lopportunité en termes économiques de ce droit qui est et reste, je tiens à la rappeler, un droit dauteur.

C’est parce que le droit de suite est un droit d’auteur que la France a été à l’origine de cette directive. Et c’est parce que la France est attachée au droit d’auteur que le Gouvernement sera attentif à ce que tous les Etats membres transposent cette directive dans les délais convenus.

Je tiens enfin à rendre hommage au travail remarquable de votre commission, tant sur le droit d’auteur et les droits voisins que sur le droit de suite, pour lequel
elle a dû travailler en extrême urgence.

Dans l’ensemble, ce projet de loi n’a d’autre objectif que de concilier la pérennité de la création et l’accès le plus large à la culture, qui est à la fois l’un des grand acquis et l’un des grands défis de notre temps. Il nous revient de faire en sorte que dans notre société numérique, les technologies faites pour le progrès des hommes permettent aussi d’assurer le développement durable et la diversité des oeuvres de l’esprit, qui sont aussi essentielles à son avenir que ceux de son environnement naturel. C’est là l’une des missions les plus nobles du législateur. Puissiez-vous faire en sorte que, comme l’a déclaré récemment l’historien Roger Chartier, le droit d’auteur ne soit pas qu’une parenthèse dans notre histoire. Tel sera, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, le sens ultime de votre vote sur le projet de loi que je vous soumets.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres à Stephen Melchiori

19 décembre 2005

Cher Stephen Melchiori,

Il a fallu les Rencontres pour l’Europe de la culture pour que nous
rencontrions et que votre remarquable parcours, votre créativité, votre
professionnalisme, et votre passion pour le cinéma soient enfin
reconnus par la République.

C’est que vous ne cherchez pas les honneurs. Vous avez la modestie
de ceux qui travaillent dur, qui mesurent les enjeux et les défis de
notre temps et décident de les relever. Je crois aussi que votre
modestie est celle des hommes qui, patiemment, dans l’ombre plutôt
que dans la lumière, construisent de grands projets.

Vous aimez les acteurs, les réalisateurs et tous les techniciens du
cinéma, photographes, monteurs, musiciens. Et vous avez consacré
votre vie à les faire connaître dans le monde. Vous avez leur
reconnaissance, puisqu’ils sont nombreux aujourd’hui à vous
entourer, vous et votre famille. Deborah Kerr en personne vous a
manifesté sa gratitude, lors d’un festival, en vous prenant dans ses
bras !

Vous aimez vous définir comme un « fan » de cinéma parmi d’autres,
et votre vocation fut de mener les plus grandes étoiles du cinéma à la
rencontre de leur public, pour le plus grand bonheur des spectateurs
et des acteurs eux-mêmes. Ce public aussi vous est reconnaissant,
qui se déplace nombreux aux festivals et aux rencontres que vous
organisez.

Vous qui, depuis de nombreuses années, travaillez dans l’ombre au
rayonnement mondial du cinéma français, vous méritez bien,
aujourd’hui, ici, d’être, si je puis dire, sous les feux de la rampe !

Oui, le cinéma français, la culture française, vous doivent beaucoup.

C’est vous qui avez fait de la montée des marches du Palais des
festivals à Cannes l’un de ces moments magiques qui rythment la vie
du septième art. Je rappelle qu’à Unifrance, auprès de Daniel Toscan
du Plantier, dont je tiens à saluer ici la mémoire, vous avez lancé le
festival du film français de Yokohama, le festival du film francomexicain
d’Acapulco, et le Festival international du film de Marrakech.

Je sais l’importance de votre compagnonnage. Je sais combien vous
lui êtes redevable et l’affection que vous lui portez et qu’il n’a cessé
de vous témoigner.

Enfin, c’est vous qui avez grandement contribué à organiser les 2 et 3 mai
derniers, les Rencontres pour l’Europe de la culture, qui, au fil des ans,
contribueront, j’en suis convaincu, au renouveau et à l’approfondissement
de la culture européenne.

Derrière ces événements, dont les images font rêver les hommes aux
quatre coins du monde, et les unissent dans une même passion, c’est
bien vous qui étiez là, patient artisan de la magie qui entoure la rencontre
des artistes et de leurs publics. Dans des pays lointains, auprès de publics
dont on aurait pu craindre qu’ils soient plus attirés par Hollywood que par
les studios français, vous avez prouvé que notre cinéma reste un cinéma
universel.

Au fil de ces rencontres, vous avez pu mesurer combien la diversité
culturelle a un avenir, non pas en tant que fermeture des cultures sur
elles-mêmes, mais en tant qu’échange, respect et curiosité entre cultures
différentes. Vous avez touché du doigt ce fond d’humanité commun que
les grands artistes représentent dans leurs oeuvres, que les étoiles du
cinéma incarnent à l’écran, et qui se manifeste concrètement lors des
festivals internationaux.

Je voudrais souligner enfin votre courage. A Marrakech, où vous étiez le
11 septembre 2001, vous avez oeuvré au maintien du festival du film
international que vous organisiez pour la première fois quelques jours plus
tard et que certains voulaient annuler.

Finalement décidé par le roi Mohammed VI, le maintien du festival restera
comme un symbole du lien et du dialogue entre les cultures, un lien qui
est plus fort que tous les actes de terreur qui cherchent à le rompre. Et
sans doute avez-vous été justement récompensé de ce courage par les
lumières de joie qui ont brillé ces jours-là dans le regard des jeunes
Marocains ayant pu approcher, grâce à vous, leurs acteurs préférés.

Merci, donc, cher Stephen, pour ces moments de rêve imaginés pour faire
rayonner notre culture. Jean Cocteau disait, à propos de l’une des
premières éditions du festival de Cannes, qu’il est comme un
« microcosme de ce que serait le monde si les hommes pouvaient […]
parler la même langue ». Puisse ce microcosme s’agrandir et franchir
toujours plus de frontières !

Cher Stephen Melchiori, au nom de la République, nous vous faisons
Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Remise des insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres à Liliane Valsecchi

19 décembre 2005

Chère Liliane Valsecchi,

Vous avez une passion, celle de la musique, et vous savez la transmettre. Le
Festival des Heures Musicales de Biot va bientôt aborder sa 23ème édition, dont
tout annonce qu’elle connaîtra le même succès que les précédentes.

Vous
êtes, Madame, l’artisan de cette réussite, qui représente un jalon sur votre
parcours personnel au service de la musique.

Dès votre prime enfance, vous révélez un don exceptionnel pour le piano, et
partez étudier en Italie, grâce à vos parents qui n’hésitent pas à bouleverser le
cours de leur existence pour permettre à votre jeune talent de s’épanouir.

Après vos études et votre Prix au Conservatoire de piano de Milan, vous êtes
appelée par Magda Tagliafero, pour enseigner auprès d’elle dans l’école
fameuse qui porte son nom, où vous exercerez vos dons de pédagogue durant
plus de vingt ans. Vous démarrez dans le même temps une carrière de soliste,
puis de chambriste, et je crois savoir que la musique de chambre représente
toujours pour vous une forme privilégiée de l’expression musicale.

Partager, réunir, transmettre sont bien les maîtres mots qui ont toujours guidé
votre action. C’est pourquoi, sans rien abdiquer de vos propres qualités
d’interprète, vous vous êtes engagée, avec le talent que nous savons et une
intuition toujours très juste, dans l’organisation de manifestations aussi
prestigieuses que fortes d’une véritable élégance, celle du coeur, tout en
développant vos activités dans le domaine de l’enseignement et de la
pédagogie de la musique.

Si je ne me trompe, le premier festival que vous ayez créé est « L’été musical
d’Antibes ». Il laisse un souvenir enchanté à ceux qui ont eu la chance d’y
assister. Durant plus de vingt éditions, il a rassemblé, sur la Place du Château,
au pied du Musée qui célèbre Picasso et à quelques pas de la demeure où
Nicolas de Staël peignit ses derniers chefs-d’oeuvre, les plus grands noms de
la scène musicale internationale : Mstislav Rostropovitch, Claudio Arrau,
Sviatoslav Richter, Barbara Hendricks au début de son étincelante carrière, les
Oïstrakh père et fils, et le meilleur des ensembles de musique de chambre.

Autre événement, autre lieu que, sur cette terre de Provence-Alpes-Côted’Azur
si propice aux festivals et aux manifestations culturelles, vous animez et
portez à un niveau international, sous l’égide de la municipalité de Biot, avec le
soutien du Conseil Général des Alpes-Maritimes et du Conseil Régional de
PACA : « Les heures Musicales de Biot », dont vous êtes la Présidente et la
Directrice artistique depuis 1982.

Au coeur de ce village, qui est un fleuron de la Côte d’Azur, dans l’église du
XVe siècle qui fait suite à la pittoresque Place des Arcades, se sont succédés
depuis la première édition les artistes dont vous avez su faire des amis fidèles,
pour des concerts que vous qualifiez vous-même de « rendez-vous d’amour et
de partage ».

Créé sous le parrainage de Christa Ludwig, – à qui vous avez d’ailleurs
consacré une exposition qui a fait date, – et de Paul-Emile Deiber, ce Festival a
réuni au fil des ans une brillante affiche où s’inscrivent les noms des pianistes
Anne Queffélec, Youri Boukoff, François-René Duchable, Dalton Baldwin ou
Boris Berezowski, du violoniste Vadim Repin, de la grande mezzo Marguarita
Zimmermann, de Leontina Vaduva, de la magnifique Teresa Berganza….

Miguel-Angel Estrella y a fait applaudir toutes les facettes de son talent, en
récital ou avec des ensembles illustrant les musiques d’Amérique du Sud….
Christian Ivaldi, Gérard Caussé et Michel Portal y ont constitué un trio dédié
autant au jazz qu’à Mozart…. Marielle Nordmann et Patrice Fontanarosa, Didier
Lockwood et Caroline Casadesus en sont aussi, parmi tant d’autres, des
habitués…. On y a entendu Paul Badura-Skoda et le remarquable trio des
frères Capuçon et de Gérard Caussé…..

Le crû 2006 des « Heures musicales de Biot » sera à la mesure de ces
prestigieuses éditions, puisque l’on y entendra Jordi Savall, Brigitte Engerer et
Hélène Mercy-Arnault à deux pianos accompagnées de Paul-Emile Deiber dans
le rôle du récitant, Boris Berezovcki, le jazz manouche du trio Rosenberg,
l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau…

Je ne peux ni ne veux citer toutes celles et ceux, artistes ou ensembles, qui,
année après année, ont répondu ou répondront à votre invitation, attirant un
public de mélomanes du monde entier.

Mais je tiens à souligner, car vous savez que c’est une donnée de la vie
musicale, et de la vie artistique en général, à laquelle je suis particulièrement
sensible et attentif, l’esprit d’ouverture qui préside à vos choix artistiques.

Je rends aussi hommage, chère Madame, à la présence dans vos programmes
de jeunes talents de votre région, ainsi qu’à l’énergie que vous déployez pour
accroître l’audience de jeunes interprètes et leur permettre de bénéficier de
l’enseignement des grands maîtres se produisant en concert. Dès leur création,
« Les Heures Musicales de Biot » ont ainsi initié des stages et des masterclasses
qui ont lançé jusqu’à 100 ou 120 jeunes musiciens venus du monde
entier.

Vous vous associez également à l’attribution de bourses à de jeunes musiciens
à qui vous offrez l’intégralité de la recette de leur concert.

L’édition 2006 des « Heures Musicales de Biot » s’enrichira du « Concertconcours
des jeunes talents vocaux » avec le soutien de la Fondation
Schlumberger.

Je vois dans ces diverses actions le témoignage de votre profond intérêt pour
la transmission et la pédagogie.

Vous avez en effet toujours eu a coeur de créer ou de diriger des écoles de
musique. Vous dirigez actuellement à Biot, depuis 1990, « l’Espace des Arts et
de la Culture », école municipale de musique, danse, arts plastiques et théâtre,
qui rassemble quelque 900 élèves.

Vous vous impliquez aussi avec coeur et générosité dans des oeuvres
caritatives. Vous assurez la responsabilité de concerts et de galas au bénéfice
de l’enfance handicapée ou de la recherche contre le cancer, et vous êtes particulièrement active dans le soutien au Centre anti-cancéreux de Nice-
Lacassagne.

Vous savez enfin combien la musique est bénéfique à ceux qui, par leur grand
âge, peuvent se sentir exclus, et vous organisez des concerts ou des
conférences musicales dans leurs lieux de vie, maisons de retraite ou centres
du 3ème âge.

Si vous êtes particulièrement attachée à Biot et à sa région, vous consacrez
depuis dix ans le même talent à animer en Bretagne, à Guidel, le « Festival
des sept chapelles », qui donne à entendre le meilleur de la musique dans le
Morbihan, et plus particulièrement dans la demeure chargée d’histoire de
Marie-Blanche de Polignac.

Pour votre action inlassable et enthousiaste en faveur de la musique, je suis
heureux de vous distinguer aujourd’hui.

Chère Liliane Valsecchi, au nom de la République, nous vous faisons Chevalier
dans l’Ordre des Arts et des Lettres.