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COULISSES

Posted By admin2011 On 23 décembre 2004 @ 00:00 In Journal 2002-2004 | No Comments

24 heures avec Renaud Donnedieu de Vabres
Le ministre de la Culture et de la Communication, nommé lors du remaniement de mars dernier, «se décarcasse» pour rendre confiance au milieu culturel. Avec lintention affichée de faire de son secteur un objet de fierté nationale.
Par Sylvie Pierre-Brossolette  La voiture quitte la rue de Valois, rive droite, et file dans la nuit vers la Bibliothèque nationale de France, rive gauche, au bout de Paris. Il est 20 h 15 et Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication, sapprête à passer une longue soirée. Elle débute par un discours en hommage à France Cinq, une chaîne de télévision du service public qui fête son dixième anniversaire. «Je viens dobtenir vingt millions deuros supplémentaires pour laudiovisuel public. Cela me permet dexprimer des souhaits sur les contenus», précise Donnedieu, avant de jeter un dernier coup doeil à son texte. Le comité daccueil attend le ministre qui, avant de monter sur la tribune multicolore, glisse à Marc Tessier, le président de France Télévisions : «Jai la voix cassée. Cest pour avoir trop bien défendu votre budget au Sénat…» Il finit par parler sans notes. Ce qui lui vaut les félicitations du communiste Jack Ralite : «Jaime les gens qui ont des convictions et qui se battent pour.» Le ministre apprécie, mais na guère le temps de goûter les compliments. Déjà il lui faut sen aller.

La vie de ministre de la Culture est un marathon. Il faut être sur le pont jour et nuit. Enchaîner rendez-vous, réunions, inaugurations, visites, déjeuners (ou dîners, voire soupers) de travail, colloques et déplacements autour de Paris ou dans les Régions (une centaine en province depuis huit mois). Et puis, un ministre de la Culture parle beaucoup. Ce soir-là, pourtant, il connaît le bonheur de pouvoir… se taire, pendant une heure, lors du concert Marguerite Long au Châtelet. Arrivé à lentracte, il assiste à la seconde partie. Au programme, Liszt et Prokofiev. Après les applaudissements, Donnedieu se faufile dans les coulisses pour féliciter les lauréats du concours. Chaleureusement. Et le voilà reparti.

Vingt-trois heures trente. Dîner rapide dans un restaurant face au ministère et confidences sur la conception de son rôle au sein du gouvernement, sur le patrimoine et la création qui, en France, doivent être «un objet de fierté internationale». Donnedieu, le néolibéral, ne veut pas seulement être le ministre des artistes mais aussi celui du public. Au menu : artichauts poivrade, filet de boeuf, pommes allumettes. Nouvelle confidence : «Jaimerais que lon affecte une partie des recettes des privatisations au patrimoine et que les monuments historiques ou les grandes institutions, comme la Comédie-Française, soient ouverts lété pour les jeunes, afin quils y expriment leur talent.» Donnedieu ne rechignerait vraiment pas à «déborder» la gauche sur le terrain de la modernité culturelle…

Un peu avant une heure du matin, retour rue de Valois. Une pile de parapheurs lattend ainsi quune batterie de notes soigneusement disposées par sa fidèle assistante, Françoise Harispuru. Cest, dit-il, le seul moment calme où il peut vraiment travailler, réfléchir, ranger ses idées. Trois gros quarts dheure plus tard, retour à son domicile, dans le VIIe arrondissement.

La nuit a été courte. Lever à 7 h 30 pour le premier rendez-vous : un petit déjeuner à la Fondation Konrad Adenauer, devant la presse allemande réunie par les responsables de ce très puissant think tank proche de la CDU. Là encore, Donnedieu délaisse ses notes. Il raconte ses souvenirs de Berlin, notamment ceux du jour de la chute du mur et dun fabuleux concert : «Jaimerais quen souvenir de ce moment, la 9e symphonie soit jouée dans les vingt-cinq pays dEurope à la vingt-cinquième heure.» Avocat de laxe franco-allemand, celui qui fut un fugace ex-ministre des Affaires européennes – et qui rêve toujours du Quai dOrsay tout en disant : «La Culture, cest le bonheur» – soigne ses relations extérieures. Afin, dit-il, de faire «rayonner la France». Mais aussi de désenclaver son ministère : «Je veux « détroubadouriser » les artistes et démarginaliser la Rue de Valois.» Un vrai projet de fond dont il a eu loccasion récemment de sentretenir «pendant une heure trente» avec Jacques Chirac. Il a le sentiment davoir été entendu. Car cet ex-léotardo-balladurien partage aussi hors du secteur culturel les approches qui sont celles du chef de lEtat, par exemple, sur la laïcité. Ainsi, interrogé sur les droits des minorités religieuses (auxquels Donnedieu, le «parpaillot», devrait être sensible), il récuse toute idée de faire évoluer la loi de 1905 : «Je suis de mère catholique et de père protestant. Je suis donc un enfant du diable, mais surtout un ministre de la République.» Photo devant les drapeaux, accolades, et le ministre quitte ses amis allemands. Cap sur le ministère.

Il y retrouve, à 10 heures, les responsables du Festival dAvignon, venus lui présenter leurs projets pour 2005. Lartiste associé sera Jan Fabre, un créateur belge qui décoiffe. Le ministre sest abstenu dapplaudir son dernier spectacle de ballet donné à Paris au Théâtre de la Ville. «Je nai pas à intervenir dans la programmation. En revanche, on a discuté du futur président du conseil dadministration. Je vais nommer Louis Schweitzer (NDLR : le président de Renault, ex-directeur de cabinet de Laurent Fabius) pour remplacer Marie-Josée Roig (NDLR : maire UMP dAvignon et membre du gouvernement).»

Petite récréation avec Diego qui lui saute au cou. Diego, cest le jeune labrador blanc que Donnedieu a recueilli cet été en Corse, un chien abandonné, trouvé dans lenceinte de la propriété quil avait louée. Diego na plus voulu partir. Rapatrié à Paris, lanimal partage la vie de son nouveau maître, égayant de sa spontanéité les couloirs de la Rue de Valois.

Départ pour lAssemblée. A 11 heures, il doit répondre à une question sur larchitecture. Sujet controversé : qui a le droit au titre darchitecte ? «Pour avoir le label de qualité, il faut cinq ans détudes plus une année de maître doeuvre», arbitre Donnedieu, sachant que cette décision, moins anodine quil ny paraît, fera des mécontents et des ingrats.

Courte pause avant un passage à la réunion des députés UMP. Le ministre séchappe seul pour prendre un café en face de lAssemblée, au Bourbon, une brasserie où il a ses habitudes, comme beaucoup délus. «Quand jai une minute, jaime marrêter dans un café.» Cest aussi loccasion dappeler Tours – sa terre délection -, comme tous les jours : «Salut, cest Renaud. Comment ça va ? Où en est-on pour les voeux ? Donnez-moi les devis et faites un projet de carton. Merci, bonne journée.» Evidemment, cette année, il a dû prévoir plus grand : les invitations dun ministre ont beaucoup de succès. Le portable sonne. En ligne, le «dir cab», Henri Paul. Il y a du tangage parlementaire dans lair en raison dun amendement au projet de loi sur les discriminations. «OK, à tout à lheure.» Un petit tour au groupe : mais lattention des députés reste logiquement captée, ce jour-là, par largumentaire du garde des Sceaux, Dominique Perben, qui défend le texte. Retour au ministère. Avec un point sur le discours quil doit prononcer le lendemain sur le spectacle vivant. Il a tenu à organiser ce débat pour expliquer la situation des intermittents. A droite, certains élus simpatientent. Au téléphone, ou par voie de presse. Il va les rassurer.

Déjeuner avec son homologue suisse, avec lequel il signe un accord culturel. Pas le temps de souffler à lheure du café. Avant de repartir pour le palais Bourbon, Donnedieu doit dédicacer à Bernadette Chirac et à Anne-Marie Raffarin le petit livre édité par les soins du ministère en lhonneur du centenaire du prix Femina. Il accueillera le jury lors dune réception en fin de journée : «On aurait dû inviter mesdames Chirac et Raffarin à la réception», fait-il remarquer à ses conseillers, en intimant de faire porter les exemplaires au plus vite à lElysée et à Matignon. Henri Paul entre, une lettre à la main : «Le cadeau de départ de Sarkozy», samuse-t-il. Pourtant, le sujet est sérieux : il sagit de laccord donné par le futur ex-ministre des Finances au crédit dimpôt pour laudiovisuel. Une demande de la profession, que Donnedieu a pu satisfaire.

De nouveau à lAssemblée… Il en ressort à 16 h 15. A peine remonté dans sa voiture, vite un coup de fil pour préparer la suite : une visite au peintre Georges Mathieu, qui souhaite faire une dation. «Quest-ce que je dois amorcer comme réponse ?» sinquiète le ministre. Très à la mode dans les années 70, protégé par Jacques Chirac, Mathieu est un original : royaliste assumé, il possède une collection de premier plan doeuvres du XVIIe siècle, dont un Louis XIV, par Lebrun. Lartiste aimerait surtout que ses propres toiles soient exposées au musée Galliera, à Paris. Le ministre écoute avec une infinie patience le récit dune longue vie, admire les trésors que recèle lappartement du peintre, promet que lon va «arranger quelque chose», puis prend congé.

Retour dans la voiture. 17 h 30 sont passées. Le ministre a dû remettre à plus tard le rendez-vous prévu à cette heure-là avec Gonzague Saint-Bris. On ne saurait faire attendre ces dames du Femina… Les encombrements du soir ont commencé. Le chauffeur sort le gyrophare, malgré les réticences de son patron. Enfin, voilà la rue de Valois. Donnedieu va pouvoir lire son discours avant de le prononcer. A lheure prévue, il accueille le jury dans le salon Malraux, redevenu salon «Jérôme» à cause du portrait dun des frères cadets de Napoléon Bonaparte. Puis vient lheure des hommages réciproques lors de la réception du monde des lettres dans le salon des maréchaux. Donnedieu salue «la grande famille du livre», qui le remercie : «Vous êtes le premier à rendre les honneurs à un prix littéraire.» Champagne, bulles et potins. Marek Halter congratule à haute voix le ministre : «Vous êtes un des rares ministres qui fait ce quil dit»… Potins, bulles et champagne.

Mais la soirée nest pas finie. Il faut encore aller salle Wagram remettre le prix Procirep, qui récompense le producteur de télévision et de cinéma de lannée. Il est 20 h 30, cest le moment que ses conseillers choisissent pour distraire Donnedieu en lui montrant un faux ordre de mission spécialement fabriqué et encadré pour Diego, qui «accompagne son maître» en tant que membre honoraire du cabinet. On samuse, et lon repart. Après lédition, le monde branché de la «prod». Le ministre fait valoir les marges supplémentaires que Jean-Pierre Raffarin vient daccorder au secteur. Applaudissements. Mission accomplie.

Il est 22 heures. Encore quelques parapheurs à signer. Quand le rideau se baisse rue de Valois, cest toujours pour appeler un nouvel acte.


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