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Débat d’orientation sur le spectacle vivant et les métiers artistiques

Cette politique de l’emploi est au service de mon plan pour le spectacle vivant. Le budget que vous avez adopté pour mon Ministère traduit clairement la priorité qui lui est réservée : avec 753 M€, il s’agit de la dotation la plus importante pour le Ministère de la Culture ; cette enveloppe comprend 23 M€ de mesures nouvelles, dont 18 M€ pour accompagner le développement de l’emploi…. Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,

J’ai ardemment souhaité le débat d’aujourd’hui. J’en avais pris l’engagement. Il est tenu. Comme chaque fois. Ce jeudi 9 décembre 2004, la culture a droit de cité non seulement au cœur des Français, mais aussi au cœur de la représentation nationale. Représentation : c’est un même mot que la démocratie et la culture ont en partage. Un même bien commun, enraciné dans une longue histoire. Un même lieu aussi. Depuis la Grèce, l’hémicycle est commun au théâtre et à l’assemblée des citoyens.

Aujourd’hui, je suis d’abord venu vous dire que ce débat fera date. Trop souvent, il ne fut question ici de culture que lorsqu’ il fut question du budget de la culture. Il est vrai qu’André Malraux prononça ici sur son budget ses plus beaux discours, par exemple, cette métaphore inoubliable de la Maison de la culture-cathédrale ou son vœu de faire pour la culture ce que Jules Ferry, quatre-vingts ans avant lui avait fait pour l’Education. Un budget est l’expression d’une politique et j’ai eu l’occasion de vous le dire il y a quelques semaines, les crédits que vous avez votés expriment ma priorité pour le spectacle vivant. Mais un budget ne fait pas une politique à lui seul.

C’est pourquoi je suis venu vous parler des fins autant que des moyens. Qui ne voit que dans le monde de violence, de rupture et parfois, de négation de l’identité, de la racine, du patrimoine culturel et spirituel, à quel point la culture est le cœur même de notre rayonnement, de notre fierté, de notre influence, de notre attractivité et même de nos emplois. Elle ne se réduit pas au loisir intelligent, au supplément d’âme. Elle est l’essence même de l’avenir et de la force de notre parole, de nos convictions, de notre message humaniste.

Je suis venu vous parler de la place de l’artiste dans notre société et de celle de la culture dans la cité aujourd’hui. Et je suis venu vous parler des moyens de sortir d’une crise qui nous a tous marqués et des perspectives qui sont ouvertes devant nous.

Nous ne pourrons assurer l’égalité des Français dans l’accès à la culture, ni défendre et favoriser la diversité culturelle en France, en Europe et dans le monde, que si nous reconnaissons aux artistes la place qui est la leur, au cœur de notre société.

Le remarquable travail mené par votre assemblée sous l’égide de votre commission des affaires culturelles, familiales et sociales, par la mission d’information sur les métiers artistiques y contribue déjà, et je tiens à féliciter le président, Dominique Paillé, le rapporteur, Christian Kert, et tous les membres qui n’ont pas ménagé leur temps ni leur peine depuis un an pour aboutir à ce rapport d’information qui va nous être présenté dans quelques instants.

J’en vois un second témoignage dans la présence ce matin, de Monsieur le Président de la commission des finances, Pierre Méhaignerie, de Monsieur le Président de la commission des affaires étrangères, Monsieur Edouard Balladur, de Monsieur le Président de la commission des affaires économiques, Monsieur Patrick Ollier, et des présidents des groupes politiques, ainsi que d’un grand nombre de parlementaires et l’ensemble des parlementaires présents. J’associe tout naturellement à ces remerciements, les ministres qui sont venus manifester par leur présence à mes côtés, que cette déclaration et l’engagement de ce débat sont le fruit de l’action collective et solidaire du gouvernement tout entier.

Je remercie chaleureusement Jean-louis Debré, dont la présence personnelle ce matin a valeur d’un symbole fort à l’égard des artistes et des techniciens de notre pays.

Le premier regard que je vous propose de porter sur les artistes est proprement culturel. Je me souviens de ce jour où une artiste, alors que j’inaugurais la maison de la culture de Grenoble, est venue à ma rencontre, pour d’abord me parler de la joie que les artistes ont à faire ce qu’ils font et de l’écart. Oui, de cet écart, qu’elle a qualifié de « tout petit », avant de me lire un texte extrait de Tout n’est pas dit de Philippe Jaccottet. Etre artiste, c’est d’abord croire, vivre, et faire partager cette conviction que « tout n’est pas dit », que le monde en dehors de nous, comme celui que nous contenons, est loin d’avoir épuisé toute possibilité de surprise. Oui, être artiste, c’est toujours provoquer une rencontre. C’est en ce sens que l’artiste est créateur de liens. Je crois profondément, avec Fernando Pessoa, que « l’art est la communication aux autres de notre identité profonde avec eux ».

L’art, et singulièrement l’art vivant, est ce qui relie, au cœur de la culture. C’est fondamentalement pourquoi les artistes et techniciens représentent un atout et un enjeu considérables pour notre société.

Dans le monde complexe et violent d’aujourd’hui l’artiste est, comme l’a écrit Le Clézio, « celui qui nous montre du doigt une parcelle du monde ». Et j’ajouterai : une part de vérité, avec ce que cela implique de conflit, mais aussi d’humanité et d’universalité.

C’est pourquoi, je souhaite que notre société, où les risques de fractures, la perte des repères, le sentiment d’un effritement de l’identité affectent nos concitoyens, fasse résolument le pari de la culture. Pour replacer l’artiste au cœur de la cité, abolir la distance entre l’œuvre d’art et son public, investir de nouveaux territoires, instituer un rapport au temps différent et toucher le plus grand nombre de nos concitoyens. J’ai une pensée particulière pour ceux qui n’ont jamais franchi le seuil d’un théâtre, d’un musée, d’un chapiteau, d’une salle de cinéma.

Telle est la voie que je vous propose et qui est au centre de la politique culturelle du Gouvernement. Une politique qui s’appuie sur la très rapide évolution qui a vu se multiplier les lieux de création et de diffusion du spectacle vivant sur le territoire français. Cette croissance a été accompagnée, depuis une quinzaine d’années par une montée en puissance des collectivités territoriales dans le champ culturel. Il ne se passe pas un jour sans que des élus prennent l’initiative de créer une salle de spectacle, des studios de danse, des locaux de répétition, et demande au ministère de la culture de soutenir leurs initiatives.

Les quelque mille festivals qui ce sont déroulés cet été sur l’ensemble de notre territoire témoignent de la vitalité, du rayonnement et de l’attractivité de ces initiatives.
L’Etat est un partenaire solide, et ce d’autant plus que vous me votez de bons budgets, toujours perfectibles certes, mais qui contredisent avec éclat le spectre du désengagement.

L’importance sociale du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma, comme l’a montré le remarquable rapport que m’a remis Jean-Paul Guillot, peut être mesuré par le temps que les Français consacrent chaque année au cinéma en salle, au spectacle vivant et à des activités telles l’écoute de la radio, la télévision ou différents supports audiovisuels ; ce chiffre peut être comparé aux quelques 34 milliards d’heures qu’ils passent à travailler.

L’augmentation constatée du nombre des artistes en France, qu’ils soient permanents ou intermittents en découle très logiquement : Je rappelle qu’ils sont aujourd’hui 280.000 salariés, soit 1,3 % de l’emploi total. Certes, cette augmentation de leur nombre s’est accompagnée d’une aggravation de leur précarité : 80 % d’entre eux perçoivent, comme revenu de leur travail, moins de 1,1 SMIC et 54 % effectue moins de 600 heures par an. Leur revenu annuel n’a pu se maintenir que grâce à l’assurance chômage : telle est la réalité, sans fard, de la plupart des métiers de la culture.

Vous pouvez comprendre, dans ces conditions, Mesdames et Messieurs les députés, l’ampleur de l’émotion provoquée par la conclusion d’un nouveau protocole sur l’assurance chômage des artistes et techniciens. Vous pouvez comprendre aussi pourquoi le Gouvernement a jugé indispensable d’intervenir. En prenant toutes ses responsabilités.

Dès ma prise de fonction, je me suis employé à créer les conditions de sortie d’une crise qui avait tourné à une véritable guerre de tranchées, menaçant en permanence et paralysant parfois l’activité culturelle de notre pays. Le dialogue indispensable a été rétabli et nous avons compris que, seule, une initiative du Gouvernement était de nature à aider les partenaires sociaux à rechercher et à trouver des solutions à la crise endémique du régime d’assurance chômage des artistes et techniciens.

Un fonds spécifique provisoire a été créé, financé par l’Etat, dont l’organisation a été définie par Michel Lagrave, Conseiller-Maître honoraire à la Cour des Comptes. Géré par l’UNEDIC, pour rester dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle, ce fonds a pris en charge l’indemnisation des artistes et techniciens qui effectuent leurs 507 heures en 12 mois, mais n’y parviennent pas dans les 11 mois prévus pour 2004 par le nouveau protocole. Ce fonds a pris également en charge l’indemnisation des personnes en congé de maladie pour une durée supérieure à 3 mois. Il est opérationnel depuis le 1er juillet 2004.

Dans le même temps, l’UNEDIC a accepté, pour les années 2004 et 2005, un retour à la situation antérieure pour les congés de maternité.

Mais il est clair que, au-delà des mesures immédiates et d’apaisement nécessaires, la question de l’assurance chômage des artistes et techniciens méritait le traitement déterminé des problèmes de fond, auquel le gouvernement s’est attaché : renforcement de la lutte contre les abus, engagement d’une réflexion sur le périmètre légitime du recours à l’intermittence, sortie des textes juridiques permettant le croisement des fichiers.

Une mission d’expertise indépendante, confiée à Jean-Paul Guillot, a permis de poser sur la situation de l’emploi dans le spectacle vivant, le cinéma et l’audiovisuel, et sur la place du régime d’assurance chômage, un diagnostic objectif et assez largement partagé. Les pistes de travail qu’il propose sont claires : quelles que soient les mesures qui seront prises pour améliorer le régime d’assurance chômage des artistes et des techniciens, elles ne pourront produire d’effets que si elles accompagnent une politique ambitieuse de l’emploi culturel au service de la création et de la diffusion dans le spectacle vivant, le cinéma et l’audiovisuel.

Cette politique doit mobiliser l’Etat, les collectivités territoriales les partenaires sociaux du secteur et les confédérations, chacun devant prendre les engagements correspondant à ses responsabilités ; elle doit ainsi permettre de ramener l’assurance chômage à son vrai rôle et montrer que l’on cesse de faire reposer sur elle seule toute la structuration de l’emploi dans le secteur.

Les conditions seront ainsi créées pour la négociation plus sereine et constructive d’un nouveau protocole d’assurance chômage des artistes et des techniciens. Il est essentiel que les partenaires sociaux, garants de la solidarité interprofessionnelle, soient pleinement rassurés sur l’esprit de responsabilité qui doit prévaloir chez les pouvoirs publics et les partenaires sociaux du secteur. C’est cet engagement que le Gouvernement prend devant vous, Mesdames et Messieurs les Députés, et pour lequel j’ai besoin de votre appui.

Dès le 1er janvier 2005, comme je m’y étais engagé, un nouveau système sera en place. Il ne s’agit pas, à ce stade, d’un système définitif, ni d’un nouveau protocole renégocié. En attendant ce nouveau protocole, j’ai indiqué qu’il n’y aurait pas d’espace vide et que l’Etat prendrait ses responsabilités. Le Gouvernement a donc décidé de mettre en place, jusqu’à la conclusion d’un nouveau protocole, un fonds transitoire qui reprend les principaux axes proposés par Michel Lagrave.

Ce fonds permet de définir une période de référence de 12 mois pour l’ouverture des droits (au lieu des 10,5 ou 10 mois, qui correspondent à la durée définie pour 2005 par le protocole de 2003) avec date anniversaire. En retenant cette modalité, pour la deuxième année consécutive, l’orientation pour un système pérenne est claire : cette durée d’un an correspond au rythme annuel de l’activité du secteur et permet aux salariés comme aux employeurs de mieux programmer leur travail.
J’ai bien noté – et je comprends – les autres demandes qui se sont exprimées pour qu’un nouveau système en 2005 préfigure davantage les éléments nécessaires d’un système pérenne, destinés à encourager un allongement de la durée du travail et à réduire les situations de précarité.

Certains de ces éléments peuvent relever d’ajustements techniques de la part de l’UNEDIC, d’autres pourront être pris en compte dans le fonds transitoire de 2005 : après concertation avec les partenaires sociaux, je préciserai ces points lors du Conseil national des professions du spectacle de la semaine prochaine (le 17 décembre). Le quatrième de l’année !

Je détaillerai également, devant ce même Conseil national des professions du spectacle, les mesures dont j’ai présenté les grands axes devant votre mission d’information la semaine dernière. La politique de l’emploi que j’entends conduire a pour objectifs de relever la part des emplois permanents et des structures pérennes, d’accroître la durée moyenne de travail annuel rémunéré et des contrats des intermittents. Ces mesures sont destinées, je vous le rappelle :
– à améliorer la connaissance précise de l’emploi dans le secteur, avec la responsabilité accrue de tous les organismes qui y concourent, et à renforcer l’efficacité des contrôles ; le décret permettant le croisement des fichiers entre les organismes sociaux du secteur a été publié hier au Journal Officiel – il était attendu depuis 1992 ! Il complète et prolonge celui du 7 mai 2004 permettant le croisement des déclarations des employeurs et des salariés.

– à orienter progressivement les financements publics qui dépendent de mon ministère vers l’emploi ; je tiens à ce stade à préciser que si je veux encourager la transformation des emplois qui le justifient en emplois permanents, il n’est en aucune manière dans mes objectifs politiques de remettre en cause, si peu que ce soit, le régime de l’intermittence, que nous considérons absolument indispensable à la création, à la diffusion et, plus largement, à l’activité artistique et culturelle. A ce titre, l’existence et la pérennisation des annexes VIII et X constituent une garantie et une condition de la vitalité culturelle de notre pays.

– à inciter les partenaires sociaux du secteur à accélérer et systématiser la conclusion de conventions collectives ;

– à accompagner les efforts de professionnalisation des employeurs comme des salariés.

D’ores et déjà, je puis vous dire que j’attends des partenaires sociaux du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel, et singulièrement des employeurs, qu’ils manifestent, dans des délais très rapprochés, leur sens des responsabilités pour compléter la couverture du champ conventionnel. Dans cet esprit, j’ai réuni le 8 novembre dernier les représentants des diffuseurs afin qu’ils engagent et qu’ils concrétisent diverses actions communes permettant l’établissement de bonnes pratiques d’emploi et de réfléchir à de nouvelles formes contractuelles dans le secteur. J’observe, à cet égard, que les diffuseurs privés viennent de s’associer dans un syndicat des télévisions privées pour mieux aborder ces sujets de réflexion.

Cette politique de l’emploi est au service de mon plan pour le spectacle vivant. Le budget que vous avez adopté pour mon Ministère traduit clairement la priorité qui lui est réservée : avec 753 M€, il s’agit de la dotation la plus importante pour le Ministère de la Culture ; cette enveloppe comprend 23 M€ de mesures nouvelles, dont 18 M€ pour accompagner le développement de l’emploi.

Dans chaque région, j’y travaille en ce moment même avec les Directeurs régionaux des affaires culturelles, il y aura, en 2005, un plan pour l’emploi dans le spectacle vivant.

Je souhaite vous en donner, brièvement, les principaux axes :

– Priorité à la diffusion, avec l’aide à la constitution, dans les théâtres, de « pôles de diffusion », composés de personnels formés, dotés d’outils techniques de recensement et de connaissance des réseaux. Expérimentale en 2005, cette aide sera progressivement étendue à partir de 2006 – et devra prendre en considération la création d’un fonds spécifique d’aide à la diffusion en milieu rural.

– L’appui aux compagnies et aux ensembles indépendants, qui doivent bénéficier d’aides incitatives à la reprise et d’un encouragement, par des moyens spécifiques, à développer des résidences de longue durée.

– Rendre aux auteurs et compositeurs, qui sont la force vive de la création, la place éminente qui leur revient, en améliorant la rémunération et la situation des auteurs, en renforçant leur présence, par la généralisation des résidences de longue durée d’auteurs et de compositeurs, dans les établissements subventionnés.

– Redéfinir et relégitimer une politique de développement de la pratique amateur, qui n’est ni une étape vers la professionnalisation, ni un substitut à la pratique professionnelle. Ciment du lien social, remarquable outil d’intégration et de dialogue entre les cultures et les générations, elle doit être encouragée par la formation, le rapport direct à la création, les rencontres entre artistes amateurs et professionnels.

– Encourager la circulation internationale de l’art vivant, par la mise en réseau des institutions et des projets sur le plan européen : institutions de recherche dans le domaine musical, académies européennes de jeunes artistes, jumelages entre théâtres français et européens.

Cette politique, ces orientations, je ne peux pas les conduire seul. J’ai besoin d’entendre la représentation nationale me dire si elle partage ces ambitions, si elle est prête à unir sa voix à la mienne, pour en appeler à la responsabilité partagée, aux côtés de l’Etat, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux du secteur, des confédérations, du public lui-même, afin que, au sortir d’une crise qui a douloureusement éprouvé le monde de la culture – mais qui a aussi permis une formidable réflexion collective – nous nous tournions ensemble vers l’avenir, et que l’art, la culture, redeviennent ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : le ferment de notre unité et de notre identité commune.

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