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Réception en l’honneur de la Fédération Européenne des institutions linguistiques nationales

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Je suis très heureux de vous accueillir au ministère de la culture
et de la communication, à l’occasion de la réunion, à Paris, de la
Fédération Européenne des institutions linguistiques nationales,
dont je salue les délégués et les observateurs.

Je tiens aussi à remercier les artistes et les créateurs venus de
tous les pays de l'Union européenne.

Je remercie tout particulièrement ceux d’entre vous qui ont fait le
geste symbolique de marquer cet événement par une phrase,
une citation, un proverbe, dans leur langue, dans chacune des
vingt langues de l’Europe. Ce florilège est projeté en lettres de
lumière sur la façade du Palais-Royal.

Nous sommes rassemblés ce soir pour fêter un patrimoine qui
nous est commun, et où chaque nation trouve les racines qu'elle
a en propre ; pour célébrer un héritage qui, à l'échelle d'un
continent, porte sa diversité, sa richesse et aussi – je crois que
nous partageons tous cette conviction – sa chance : oui, la
polyphonie des langues européennes est une chance pour
l’Europe, parce qu’elle est l’expression par excellence de la
diversité culturelle et du pluralisme qui est la valeur
fondamentale de nos démocraties. La polyphonie des langues
fait écho à la polyphonie de l’esprit qui est au coeur de la culture
européenne.

Faire vivre nos langues, telle est notre passion commune : il
s’agit tout autant de préserver le patrimoine linguistique de nos
nations que de créer de nouvelles formes pour donner à nos
langues les moyens d'exprimer le monde actuel.

Nos langues aident aussi à construire la cohésion sociale de
chaque nation : c'est par la langue que se forment les citoyens,
qu'ils acquièrent une histoire et une culture, qu'ils éprouvent le
sentiment de la communauté à laquelle ils appartiennent, qu’ils
forment leurs projets, qu’ils bâtissent l’avenir.

La langue est également le premier instrument d'insertion
sociale et professionnelle, non seulement pour nos citoyens,
mais aussi pour tous ceux que nous accueillons chez nous, ces
migrants dont l'intégration dans nos sociétés se fera d'abord par
le partage d'une langue commune.

C’est pourquoi les langues sont les vecteurs de l’éducation et de la culture.

Ce qui fait de la langue, selon l’expression de Léopold Sédar Senghor, ce
« merveilleux outil », c’est qu’elle est pour chaque citoyen, l'instrument de sa
liberté et de son identité culturelle. C’est aussi qu’elle est, par essence,
l’instrument d’un dialogue et d’une ouverture sur les autres cultures.

Connaître les langues, c’est rencontrer l’autre, le respecter, comprendre les
peuples, dialoguer avec eux : oui, voilà ce que nous apporte, en plus de la
maîtrise de notre propre langue, l’apprentissage des autres langues dans
leur diversité.

Nos politiques linguistiques, dont vos journées d’étude permettent de
préciser les différences de définition et d'application, mais aussi les
convergences au sein de l’Europe, se rejoignent sur un constat, aussi
philosophique que politique. Un constat que je tiens à vous faire partager :

nos langues sont des éléments fondamentaux de notre personnalité et de
notre patrimoine. Elles sont l’expression de nos pensées et les instruments
de nos actions.

Elles sont les langues de l’enseignement, du travail, des échanges, des
échanges d’idées, de rêves, de créations, de projets, mais aussi des
services et des marchandises au sein de l’espace européen.

Mais les langues ne sont pas des marchandises. Elles ne sont pas des
produits comme les autres. C'est pourquoi on ne saurait les traiter comme
de simples modes de désignation de la production intellectuelle ou
matérielle. Les langues ne sont pas des étiquettes ou des codes-barres
collés sur des produits. Elles ne sont pas à vendre.

C’est pourquoi j'ai fait le choix de donner à la politique de la langue toute sa
place dans la politique culturelle de la France : dans sa dimension
patrimoniale, dans sa dimension sociale, dans l’expression de la diversité de
nos créations.

En affirmant dans sa Constitution que la langue de la République est le
français, notre pays marque son attachement à l'identité linguistique de la
nation. Aussi veillera-t-il d'abord à ce que, dans toutes les circonstances de
la vie sociale, sa langue soit respectée.

Il a pris, vous le savez, des dispositions législatives en ce sens, comme l'ont
d'ailleurs fait d'autres pays européens pour promouvoir leur langue
nationale.

Dans l’Europe d’aujourd’hui et dans la mondialisation actuelle, disposer de
législations telles que la loi Toubon, à laquelle je suis très attaché, est une
garantie pour nos démocraties, une garantie pour chaque peuple de pouvoir
exprimer ses idées dans la langue qui a forgé son identité.

C’est pourquoi pour ma part, je m’exprime en français dans les instances
européennes et je cherche à comprendre l’autre dans la langue de l’autre,
car tel est le véritable esprit européen.

Je m’exprime en français parce que c’est la langue que comprennent ceux
qui m’ont mandatés et devant qui je suis responsable, comme le font les
responsables politiques européens dans leur langue lorsqu’ils représentent
leur Etat.

Je souhaite que la nouvelle Commission européenne, qui entrera
prochainement en fonction, comprenne que les dispositions que nous avons
prises, les uns et les autres, pour assurer la primauté de nos langues sur
nos territoires respectifs, ne constituent en aucune manière des entraves à
la libre circulation des produits au sein du marché intérieur, mais la plus sûre
des garanties apportées à la diversité culturelle et à la démocratie.

Car ce qui est en jeu, c'est le défi politique d'organiser l'Europe dans sa
pluralité, avec toutes ses langues. La Constitution qui sera prochainement
soumise aux suffrages de nos concitoyens ou de nos Parlements nous
enjoint explicitement de nous engager dans cette voie. Fidèles à leur
engagement européen, nos nations se doivent de garantir l'identité
linguistique de leurs citoyens : l'intégration européenne se fera à travers la
diversité des langues, je le répète, et non pas malgré elle.

Dans le même esprit, la France entend donner à ses futurs citoyens la
meilleure maîtrise possible du français, ainsi que leur apprendre au moins
deux autres langues vivantes. Nous luttons aussi contre l'illettrisme de façon
déterminée, comme nous proposons une formation linguistique aux
migrants. Nous cherchons à protéger le consommateur, à simplifier la
langue de notre administration, à enrichir le lexique par une action
terminologique volontaire et créatrice.

Je tiens enfin à citer l'action importante que conduit mon ministère en faveur
de la traduction, littéraire en particulier. Car si nous ne maîtrisons pas le jeu
des influences réciproques, du moins écrivains et lecteurs ne doivent-ils pas
trébucher sur l'obstacle de la langue. C'est dans l'échange des oeuvres et
l'enrichissement mutuel des idées que réside l'essence du dialogue
séculaire entre nos langues et nos cultures, comme l'exprime avec bonheur
Umberto Eco, pour qui "la langue de l'Europe, c'est la traduction".

Je tiens à saluer et à remercier tous ceux, ici présents, qui s’engagent au
service de cette cause. Je reconnais en eux cette flamme, cet élan qui sont
ceux de la passion et du coeur. De la passion et du coeur, il en faut pour
nous conduire à créer, à animer, à enseigner, à entraîner les autres pour la
seule récompense de voir s’épanouir une culture et une langue qui nous
sont chères.

Mais cette récompense n’a pas de prix, comme l’illustre chacune des
phrases qui illuminent en ce moment même la façade du Palais Royal.

Car bien entendu, nos politiques de la langue sont tournées vers l'extérieur.
Là encore, les valeurs qui nous unissent nous indiquent le chemin. S'ouvrir à
toutes les langues et à toutes les cultures, s'enrichir de leurs échanges et de
leurs influences réciproques, en un mot respecter et préserver la diversité
culturelle : c'est là un combat que soutient ardemment la France, elle qui
promeut depuis longtemps cette idée et qui se
bat pour qu'elle devienne un instrument juridique international. Oui, plus
encore que la langue française, c'est une certaine idée de la langue que
nous défendons en Europe.

Car l'Europe, à l'inverse de la Grèce antique, n'a pas de langue commune.

L'identité européenne tient beaucoup moins à un modèle précis qu'à une
manière d'échanger les connaissances, de confronter les croyances, de
construire l'universel en analysant les différences.

Cet espace culturel multiple est profondément uni dans sa diversité. Pour la
première fois dans l'histoire, à rebours des empires traditionnels, un
ensemble géopolitique fonde son identité sur des différences, et même son
unité politique, économique et culturelle.

Cette construction sans précédent est à la fois un héritage et un projet. L’un
et l’autre sont à conquérir. Nos langues sont les armes pacifiques de cette
conquête que je tiens pour la vraie nouvelle frontière de l’Europe.

Une frontière ouverte, bien sûr, qui interdit les utopies unificatrices et en
particulier le monolinguisme, qui ne servirait qu'une monotonie culturelle, et
partant, une forme de soumission. Si, comme je le pense, l'âme de l'Europe,
c'est le respect du pluralisme, alors protégeons la diversité non pas contre le
recours épisodique à une langue globale, mais contre son hégémonie. Un
monde monolingue, ce serait un monde irrémédiablement appauvri, comme
l'a rappelé récemment encore le Président Jacques Chirac lors de son
voyage officiel au Vietnam. Un monde monolingue, ce serait un monde sans
racines et donc sans avenir.

Oui, la polyphonie de ses langues est une chance pour l'Europe comme elle
l'est pour le monde. L'exclamation d'Alberto Moravia, "les langues, merveille
de l'Europe !", sonne autant pour nous tous comme un constat que comme
un défi : faisons de notre diversité un atout, une chance pour la construction
de l'Europe !

Je vous remercie.

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