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L’Europe, de la Méditerranée à l’Oural ?

Posted By admin2011 On 6 décembre 2002 @ 00:00 In Journal 2002-2004 | No Comments

L’élargissement de l’Europe est une chance, une victoire, une responsabilité. C’est une étape qu’il faut activement préparer pour qu’elle soit saluée comme une réussite par nos concitoyens. En France, ce n’est pas encore le cas… On peut toujours dans la vie politique se rassurer à bon compte et penser que tout s’arrange naturellement et spontanément. Imaginer que nos concitoyens marchent au même rythme que les élites dirigeantes. Eh bien, ce n’est pas vrai ! Parfois d’ailleurs ils les précèdent ou les surprennent. En témoigne la facilité assez déconcertante avec laquelle est entré dans la vie quotidienne de chaque Français le recours à l’euro. A tel point que les « refuzniks » n’ont pas pu relancer leur projet de nouveau référendum dans les semaines qui précédèrent ce 1er janvier 2002. C’est d’autant plus impressionnant que se fermait à cette date une histoire très riche de nos monnaies respectives, de leur valeur, des effigies figurant sur les pièces et des symboles sur les billets.

Mais ne nous rassurons pas à bon compte ! L’opinion est capable également de coup de tonnerre, d’avertissement, voire de refus carré et direct lorsque les enjeux ne sont pas suffisamment clairs ou que les avancées reposent sur des bases contestées parce que contestables.

N’oublions jamais que dans les démocraties européennes – et c’est là notre supériorité sur tout autre régime politique – c’est le peuple qui a toujours le dernier mot, notamment au moment de la ratification, qu’elle soit parlementaire ou référendaire.

Si l’on veut convaincre, faire adhérer à notre projet européen, aux défis que nous avons à relever, alors oui, il faut vraiment aller de l’avant. A la rencontre. Au contact. Sans esquive. Avec lucidité, panache, réalisme, fièvre de l’avenir. Sans méconnaître les craintes, les doutes, les nostalgies, les références historiques, les fantasmes qui parfois s’emparent d’un peuple et le détournent des voies qu’on croyait lui tracer de manière lumineuse, évidente, « naturelle », prospective.

L’élargissement de l’Europe est une chance, une victoire, une responsabilité. C’est une étape qu’il faut activement préparer pour qu’elle soit saluée comme une réussite par nos concitoyens. En France, ce n’est pas encore le cas, d’où l’utilité du « grand » discours européen de Dominique de Villepin, qui a su à Marseille avec un talent très rare, relier de manière éblouissante les racines spirituelles, les cicatrices du passé avec les objectifs des générations nouvelles pour lesquelles  la liberté compte plus que l’histoire.

C’est une victoire fantastique que d’avoir réussi à faire gagner le camp de la liberté, des droits de l’homme, du rayonnement spirituel et humain sur notre continent, marqué au siècle dernier par les barbaries que l’homme commet parfois avec une rare férocité et une indignité monstrueuse.

L’accueil des pays et des peuples « libérés » est une fête, un devoir, une promesse d’avenir, même s’il exige une solidarité active, un dépassement de soi, une ouverture à l’autre qui heurtent toujours les conformismes, les habitudes, les frilosités.

N’oublions pas d’ailleurs de mettre en lumière les efforts considérables faits par les gouvernements et les citoyens des 10 pays qui vont rejoindre l’Union Européenne pour « mériter » leur adhésion et se rapprocher de nos normes. Cette communication nécessaire est essentielle si l’on veut rassurer ceux de nos concitoyens qui considèrent que nous faisons collectivement un saut dans l’inconnu. Elle est impérative pour rapprocher, pour illustrer qu’il s’agit bien d’une réunion de famille.

Que chaque école de France, chaque collège, chaque centre de formation d’apprentis,  chaque lycée, chaque université, en 2003 aient à cœur civique d’organiser une exposition sur chacun des 10 pays nouveaux, sans peut-être oublier les 15 membres existants ! Que les parents prennent le chemin européen préparé par leurs enfants !

Ne faisons pas semblant d’oublier que s’ouvre un débat délicat qu’il faut assumer, celui du périmètre de l’Union Européenne. Faire l’impasse sur les questions qui parcourent l’esprit des peuples en ce moment, c’est la certitude de l’échec au moment décisif de la ratification. C’est là que nous devons analyser avec finesse et discernement la nature des liens que forge et que consacre l’Europe.

La valeur européenne suprême est certainement le respect du pluralisme, de la diversité, le culte de la liberté, le refus de l’uniformité et de l’idéologie qui brisent les racines, les cultures, les traditions, les terroirs, les croyances.

Ce qui réunit les peuples européens de manière relativement instinctive, même si « l’instinct » nous a sauvagement conduits « entre nous » à la guerre, au fanatisme, à l’extermination, au génocide, à la déportation, à la barbarie, au crime contre l’humanité, est une même volonté, une même manière de vie en commun, où les principes de la démocratie, des droits de l’homme, de la liberté absolue de conscience et de création, façonnés par l’histoire, par la civilisation, par la culture, par l’éducation, par la géographie, sont reconnus comme inaliénables et sacrés.

Sacrés, au sens spirituel et non religieux du terme ! Il semble à cet égard urgent, tant en ce qui concerne l’histoire du monde que celle de l’Europe, de la France, de chacune de nos villes, de rappeler à chacun fortement que la religion doit rester le privilège de l’individu, de la personne humaine, libre de sa foi, de ses croyances, sans devenir une nouvelle nationalité, une bannière politique détournée de sa mission spirituelle à des fins de frontière, de guerre, de conquête, de terrorisme, de fanatisme, d’intégrisme.

Eradiquons clairement partout l’appartenance religieuse comme seul discriminant politique, tout en permettant et en garantissant à chacun le libre choix et la libre pratique de son culte. Il y va de la paix civile et internationale. La laïcité redevient au fond, lorsqu’elle n’est pas conçue comme la négation agressive de toute religion mais comme le respect de l’altérité, une valeur européenne fondamentale qui peut être célébrée dans nos églises, nos temples, nos synagogues, nos mosquées, sous les voûtes célestes romanes, gothiques ou contemporaines, dans nos écoles et nos mairies.

L’Europe est une construction politique, rassemblant les hommes et les femmes qui décident de créer ensemble leur avenir personnel et politique. C’est le fruit d’une décision. C’est le résultat d’un acte volontaire. C’est l’aboutissement d’une démarche réfléchie. Ce n’est pas un asservissement déterminé et aveugle à la géographie, à la religion ou à la richesse. Ce n’est pas uniquement un marché. Ce n’est pas une organisation destinée à pacifier les conflits internes comme voudraient le faire croire ceux qui nous font le faux procès de la tiédeur et du renoncement. C’est une entité véritablement politique apte à la décision, à la gestion en commun, à l’expression concrète du futur.

La seule limite à l’Europe tient à la volonté politique des peuples qui la constituent.

Qui devons-nous accueillir ? Qui souhaitons-nous associer à notre aventure commune ? Comment s’ouvrir sans exclure, tout en restant fidèle à ce que nous sommes ? Selon quels critères opérer ces choix, avec quel calendrier ? Telles sont les questions qui surgissent tel l’éclair voire l’ouragan dans chacune de nos démocraties. Ces interrogations façonnent naturellement la conception même de l’union européenne. Mais il ne faut pas pour autant tomber dans la caricature à l’excès et désigner par trop d’anticipation la candidature de tel ou tel Etat comme le bouc émissaire absolu, comme le signal du renoncement à construire une Europe démocratique forte.

Une vraie question appelle une réponse non polémique mais claire et comportant le cas échéant des alternatives. Les motifs de la réponse sont de ce point de vue essentiels, car ils peuvent générer des effets boomerang négatifs, ou au contraire inciter à persévérer dans la spirale vertueuse d’un renforcement de la démocratie politique, du respect des droits de l’homme, bref de la communauté d’intérêts et de destin.

Si l’Europe réintroduisait dans ses critères de décision le concept religieux, alors le pire serait à craindre dans chaque Etat qui veut ardemment réussir l’intégration de chaque citoyen quelle que soit son origine.

Evitons de grâce les errements graves qui de dérapages verbaux en glissement de pensée conduisent parfois à parler sur les ondes des « Français d’origine musulmane », comme si la religion pouvait s’identifier au concept exclusif de nation, de terre, de patrie.

Les termes du choix viennent d’être puissamment éclairés par le discours « méditerranéen » de Dominique de Villepin, récemment désigné par le Président de la République et le Premier Ministre pour siéger à la Convention européenne comme son homologue allemand vient de l’être également. Ce parallélisme est d’ailleurs un signal fort à l’approche de la commémoration des 40 ans du Traité de l’Elysée.

Notre Ministre des Affaires Etrangères trace les pistes de l’avenir en distinguant les « membres », les « partenaires »,  les « associés », en ayant pris le soin intelligent et stratégique de tenir ce discours sur la rive nord de l’Europe méditerranéenne, dans ce port extraordinaire qu’est Marseille, dans cette ville fascinante modernisée avec talent par Jean-Claude Gaudin.

Oui, en effet, se pose avec force la question du renforcement des liens politiques, économiques, sociaux, culturels, diplomatiques et militaires entre les pays du bassin méditerranéen auquel nous appartenons.

Comment ne pas souhaiter que le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et demain d’autres Etats, dès que le règlement du conflit israélo-palestinien le permettra, puissent s’engager dans le processus avec l’union européenne ayant comme devise « moins que l’adhésion et plus que l’association ».

Nombreuses sont les initiatives qui vont dans ce sens : du processus de Barcelone au « Forum méditerranéen » sans oublier « le dialogue 5+5 ».

« L’Europe, de la Méditerranée à l’Oural » ! C’est un bel objectif.
Alors, veillons à ce que la « question turque » qui surgit légitimement avec force dans le débat européen n’accapare pas à elle seule l’opinion publique qui découvre seulement maintenant que 10 nouveaux Etats vont être admis dans quelques jours à l’adhésion dès 2004, avec une population et une superficie totale égales à la seule Turquie. Veillons à ce qu’elle ne nous éloigne pas des solidarités que nous devons renforcer de façon prioritaire avec l’ensemble de nos frères du Sud de la Méditerranée.

Veillons à ce que les considérations stratégiques réelles, illustrées par notre appartenance commune à l’OTAN, n’escamotent pas la réflexion sur l’équilibre institutionnel nécessaire à cette grande Europe, à cette très grande Europe…

Rappelons ici que les critères fixés à Copenhague sont à remplir pour être membre de l’union européenne et que la Commission est un examinateur vigilant.

Nul doute qu’une manière de résoudre cette équation « diabolique » et délicate, réside dans le fait que les institutions européennes rénovées soient non seulement fortes et démocratiques mais également souples pour que d’utiles coopérations renforcées au sein de l’union européenne puissent se nouer, sans pour autant ressusciter un sentiment nostalgique de « vieille Europe » !

Le débat sur l’élargissement, à l’ordre du jour du sommet de Copenhague, qui ne fait que débuter, contrairement aux apparences, vaut beaucoup mieux que des règlements de comptes politiciens ou des calculs électoraux à courte vue.

Pour susciter la confiance et l’adhésion à notre projet européen, le dialogue en direct établi avec le peuple français  par le Président de la République, le Premier Ministre et son Gouvernement, est nécessaire et urgent.

A eux, à nous tous, de donner une identité claire, des pouvoirs forts à la nouvelle Europe que nous voulons construire. Au peuple ou à ses représentants, le moment venu, de décider souverainement.


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