Qui peut aujourd’hui prédire avec précisions les conséquences d’une intervention terrestre en Irak sur la situation en Israël et en Palestine ? Qui peut évaluer la spirale terroriste, qui peut suivre si les musulmans se solidarisent avec un peuple frère même s’ils ne soutiennent pas la dictature laïque de Saddam Hussein ? Je n’arrive pas encore à imaginer le recours américain à une guerre préventive contre l’Irak. Je suis de plus en plus seul à ne pas me rendre à l’évidence des préparatifs de l’état major américain, qui annonce l’imminence d’une intervention…
Il me semble qu’un fait déclencheur intelligible pour tous les citoyens du monde manque. Les rapports des inspecteurs de l’ONU ne sont pas encore probants. L’expertise en cours des documents irakiens n’a pas livré ses révélations implacables. Et pourtant le processus inexorable conduisant à une invasion terrestre paraît s’enclencher.
De nouveaux opposants destinés à être de futurs dirigeants de l’Irak tiennent conclave. Les rumeurs des préparatifs de plus en plus opérationnels des forces américaines et alliées s’intensifient.
La planification est l’art militaire par excellence.C’est donc parfaitement légitime que les chefs d’état major organisent leur dispositif pour le cas où le pouvoir politique déciderait l’action armée.
Mais de quelle action armée s’agit-il ?
D’une destruction d’arsenaux de matériels offensifs découverts par les inspecteurs de l’ONU ou les satellites d’observation par des frappes aériennes appropriées ? D’une véritable prise de contrôle terrestre du territoire visant à mettre en place un nouveau pouvoir et faire marcher « pacifiquement » le pays et sa production pétrolière ? Ou d’une annonce musclée pour faire tomber Saddam Hussein ou tout au moins le rendre plus compréhensif et coopératif afin que les résolutions du conseil de sécurité soient enfin appliquées.
On ne sait pas encore bien. On subodore. On imagine les étapes, les itérations, les scénarii, les engrenages… Mais on y va. C’est un fait acquis, irréversible, implacable…
***
La présidence française du conseil de sécurité de l’ONU risque en janvier prochain d’être un exercice particulièrement délicat. Les talents éprouvés du chef de notre diplomatie seront mis à rude épreuve car les tensions seront maximales et le grand écart entre la logique onusienne et la démarche américaine particulièrement béant.
Le président Bush peut naturellement prendre appui sur la légitime soif de revanche de son peuple, qui reste meurtri par les attentats du 11 septembre. Le peuple américain se sent d’une certaine manière en état permanent de légitime défense.
Ce serait totalement vrai s’il s’agissait du règlement définitif des comptes avec Al Qaïda. La communauté politique mondiale- je ne puis parler précisément de tous les citoyens…- suivrait alors sans aucune réserve et sans nouvelle résolution du conseil de sécurité.
Mais le lien entre Saddam Hussein et Ben Laden n’est pas établi. C’est la difficulté. C’est pour cela que les conséquences d’une telle déflagration ne sont pas aujourd’hui prévisibles, et que nous avons eu raison d’insister avec force pour que les américains acceptent « l’étape » du conseil de sécurité de cet automne, avec obligation d’y revenir au terme des inspections.
Je ne fais surtout pas partie du « clan » des amis de Saddam Hussein aveugles sur les conséquences de la politique de ce tyran pour le peuple irakien.
J’appartiens à la communauté politique de ceux qui pensent que la paix, la lutte résolue et nécessaire contre le terrorisme, l’intégrisme, le fanatisme se construisent et se gagnent en ayant un coup d’avance sur l’adversaire qu’on cherche à abattre. En n’utilisant pas les mêmes armes que lui. En veillant à associer au maximum possible- pour ne pas affaiblir l’efficacité des actions- les opinions publiques. En donnant un « sens » à la mort de ceux que l’on envoie sur le terrain et qui peuvent malheureusement y perdre leur vie. En ayant méticuleusement évalué les conséquences des décisions prises pour que, de part le monde en d’autres lieux, ne se renforcent pas de nouvelles solidarités sacrilèges, destructrices et meurtrières.
Qui peut aujourd’hui prédire avec précision les conséquences d’une intervention terrestre en Irak sur la situation en Israël et en Palestine ?
Qui peut évaluer la spirale terroriste, qui peut suivre si les Musulmans se solidarisent avec un peuple frère même s’ils ne soutiennent pas la dictature laïque de Saddam Hussein ?
Les risques s’apprécient, se mesurent, s’évaluent.
Le pacifisme – qui souvent conduit à la guerre- ne doit certes pas être légitimé par la lâcheté ou la faiblesse. Mais l’aveuglement sans discernement suffisant n’est pas non plus la branche armée de la paix…
Faut-il aller jusqu’au propos de l’évêque de Coventry, le Right Reverend Colin Bennets affirmant qu’ « une attaque contre l’Irak abaisserait de manière injustifiable le seuil de ce qui constitue une guerre légitime » ?
Rappelons dans cette perspective que le recours au conseil de sécurité de lONU nest pas une précaution, mais la garantie du respect du droit international. Non pas un artifice, mais un élément majeur de stratégie politique.
Il ny aura de paix durable dans le monde, déradication du terrorisme que si nous réussissons à imposer par le droit, parfois par la force armée- lorsquil y a violation de lordre international ou en cas de légitime défense- voire par le juge- en cas de crime de guerre ou de crime contre lhumanité- les nouvelles règles de lordre mondial que nous cherchons à établir.
La guerre nest légitime que dans cette perspective.Enfreindre délibérément ce code de conduite international cest prendre le risque dune prolifération dagressions belliqueuses et de représailles, pouvant déboucher sur une instabilité mondiale très dangereuse.
Pour que la réplique et la riposte aux menées guerrières et illégales de certains soient pleinement efficaces, il faut que les victimes que nous sommes potentiellement, nous les démocraties vulnérables et parfois naïves, sachions faire preuve tout à la fois dexemplarité juridique, de maîtrise des réactions et de courage dans laction lorsquelle doit être engagée.
La doctrine du « zéro mort » est de ce point de vue aussi dangereuse que la théorie de la guerre préventive.
Comment dans un même élan sexonérer des procédures prévues par la résolution 1441 en intervenant militairement sans préalable et fermer les yeux devant la provocation nucléaire de la Corée du Nord? Cette dissymétrie serait incompréhensible à nos opinions publiques.
***
Le discours de la France sera dans les jours prochains essentiel. C’est parce que nous sommes une solide puissance alliée des Etats-Unis, forte de sa capacité militaire et de son rayonnement diplomatique souverains qu’il nous appartiendra, le moment venu, lorsque les experts auront conclu, de prendre position.
Mais de grâce, que l’arbre irakien ne cache pas la forêt malheureusement touffue et foisonnante du terrorisme apatride qui ronge la planète.
A chaque fléau doit correspondre un arsenal de lutte approprié et spécifique.
La destruction du risque irakien ne règlera pas pour autant la prolifération nucléaire ou terroriste. Le rappeler me semble nécessaire !
Veillons en tous cas à ce que les stratégies mises en œuvre par notre puissant allié soient conformes à l’intérêt de la paix dans le monde.
Veillons à ce que leurs décisions rejoignent nos propres intérêts.
Veillons à ce que les quatre membres du conseil de sécurité appartenant à l’Union Européenne essaient au maximum possible…de faire entendre une voix coordonnée, traçant notre vision de l’équilibre entre les peuples, les systèmes politiques, les cultures, les religions, les forces, les richesses.
L’heure du rendez-vous approche, où le Président de la République, chef des armées, le Premier Ministre, responsable de la défense nationale et le gouvernement devront une nouvelle fois fixer la ligne du courage, de l’efficacité et de la sécurité extérieure et intérieure, déterminer les actions diplomatiques ou militaires à engager ou à refuser.
Ce temps de la responsabilité suprême pour l’exécutif, c’est aussi pour le parlement celui de l’association étroite aux décisions, pour que se crée la dynamique de la solidarité et de l’unité nationale indispensable à ce genre de conjoncture.
Les Français aujourd’hui constatent plus qu’ils ne comprennent l’engrenage de la guerre en Irak. Eclairer la route est donc un devoir, surtout si nos décisions devaient fortement diverger par rapport aux Etats-Unis.